EuropaCity, projet hyper contesté

Le chantier pharaonique du triangle de Gonesse est soumis au débat public jusqu’à fin juin. Mais les mensonges des promoteurs et l’opacité des décisions exaspèrent les opposants, qui ont décidé de recourir au Parlement européen pour sauver les dernières terres fertiles d’Île-de-France.

Vanina Delmas  • 15 juin 2016 abonné·es
EuropaCity, projet hyper contesté
© Europacity

Le vert printanier des champs de blé ou de colza contraste avec le gris du ciel qui les surplombe, des avions qui les survolent et des bâtiments qui les entourent. Au nord-est de Paris, le triangle de Gonesse apparaît comme une parenthèse bucolique, coincée entre l’aéroport du Bourget, les pistes de Roissy-Charles-de-Gaulle et l’autoroute A1. Mais les dernières terres fertiles d’Île-de-France, vestige du « grenier à blé » de la capitale, pourraient bientôt être englouties par le futur temple de la consommation : EuropaCity.

Le nom du projet en dit long sur ses ambitions, tout comme la cascade de chiffres exhibés par le maître d’ouvrage, la société Alliages et Territoires, filiale d’Immochan (branche immobilière du groupe Auchan) : 31 millions de visites par an, 230 000 m2 de commerces, 2 700 chambres d’hôtel, 150 000 m2 dédiés aux loisirs, 100 % des besoins en énergie produits sur place… Christophe Dalstein, directeur du projet EuropaCity, évoque « une nouvelle destination touristique » et « un projet hybride ».

La vidéo de présentation donne le tournis. Une gigantesque soucoupe aux lignes futuristes fait entrer le spectateur (et potentiel visiteur) dans une nouvelle dimension. À l’intérieur, il sera possible de faire du shopping ou du ski, de se baigner, de danser en boîte de nuit, de faire un tour de grand huit ou bien de se cultiver dans l’espace musée. À l’étage, une véritable ville verte agrémentée de pistes cyclables, de terrains de sport et même d’une ferme urbaine avec vue sur la tour Eiffel. -Message subliminal : les terres agricoles ne disparaissent pas, elles sont seulement surélevées.

Le chantier de 80 hectares devrait être lancé en 2019 pour ouvrir en 2024. Un investissement de 3,1 milliards d’euros venant de fonds privés, selon le promoteur. « Mais il y aura forcément de l’argent mis par le contribuable », s’indigne Marion Robert, du -Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG). Pour éviter qu’EuropaCity ne rejoigne la liste des « grands projets inutiles et imposés » et ne devienne une potentielle ZAD, l’instigateur du projet a demandé à la Commission nationale du débat public (CNDP) d’organiser un temps d’échanges. Ainsi, depuis le 15 mars, chaque réunion publique, visite de terrain ou atelier attire de nombreux curieux. Un bus d’informations a même sillonné les villes de Seine-Saint-Denis et du Val-d’Oise pour décrire l’opération et recueillir l’avis des habitants. Une opération de communication bien rodée qui a également permis aux opposants de mettre en lumière les incohérences du projet et de la consultation publique.

Le CPTG dénonce particulièrement le « saucissonnage » de l’ensemble. Des consultations publiques ont eu lieu séparément sur des projets pourtant liés. En réalité, Europa-City s’inscrit dans une zone d’aménagement concerté (ZAC) – qui prévoit d’urbaniser 280 hectares – et dépend également de l’implantation de la future ligne de métro 17, prévue dans le cadre du Grand Paris. L’Autorité environnementale a également souligné cette absurdité dans un avis émis en mars 2016. « Nous avons eu une consultation bidon sur la ZAC il y a deux ans, mais le public n’avait pas accès aux documents, raconte Marion Robert. Aujourd’hui, ils sont mis à disposition, mais il n’y a plus de lieu pour s’exprimer sur ce sujet-là, à part au débat public concernant -EuropaCity. »

Un semblant de -démocratie participative qui a conduit les opposants à saisir la Commission des pétitions du Parlement européen pour violation de plusieurs directives européennes par le projet de ZAC du triangle de Gonesse. « Il existe une directive précisant qu’on ne peut pas prendre un projet en dehors de son environnement global, explique Pascal Durand, eurodéputé. J’espère que l’Europe dira que ce projet ne la respecte pas. »

Conséquence de cet imbroglio : on s’échauffe rapidement dans les réunions publiques, car tout se mélange. L’annonce d’un écovillage (géothermie, panneaux photo-voltaïques…) a fait bondir les opposants au projet, qui dénoncent l’écoblanchiment et le non-respect des engagements de la COP 21, qui s’est tenue fin 2015 juste à côté du site. « Aujourd’hui, on constate une explosion des demandes concernant les circuits courts, les Amap, le local… Avec ce projet, on ampute les derniers hectares de terres du Bassin parisien au lieu de créer un projet qui soutient l’agriculture », explique Aurélie Trouvé, ingénieur agronome et coprésidente du conseil scientifique d’Attac, lors d’un débat à la Bourse de Paris, le 23 mai.

L’artificialisation des sols est le premier cheval de bataille des opposants à EuropaCity. Dominique Plet, l’un des principaux agriculteurs victimes du grignotage des terres, s’indigne : « Je suis l’un des rares à me battre, car je voulais transmettre mon exploitation à mon fils. » Au fil des années et des constructions, la famille Plet a perdu 40 % de ses champs. « Après EuropaCity, il ne me restera plus que 120 hectares », poursuit-il. Ces terres sont rachetées 6 euros le mètre carré. Une misère.

« On a l’impression qu’il s’agit d’un petit combat local alors qu’il est global. C’est une lutte contre l’accaparement des terres, une lutte qu’on retrouve partout dans le monde, clame Pascal Durand. Le combat du XXIe siècle sera celui de l’intérêt général face à l’intérêt privé. Tuer des terres agricoles, c’est tuer le vivant. » Pour se donner bonne conscience, le plan prévoit tout de même un « carré vert » de 400 hectares cultivables. « Pour eux, c’est plus facile d’urbaniser des terres agricoles que des friches industrielles », glisse Bernard Loup, président de Val-d’Oise Environnement, en pointant du doigt l’usine PSA-Aulnay, à l’abandon depuis le départ des derniers ouvriers, fin 2013.

Dans ces territoires où le chômage atteint 13 %, la promesse de 11 800 emplois pérennes, accessibles dès le niveau bac, séduit la population. De la poudre aux yeux pour certains. « Nous avons calculé qu’il y aurait au maximum 2 000 emplois, et des emplois précaires, à temps partiel, non durables… », détaille Frédérique Denis, élue écologiste de Seine-Saint-Denis. De leur côté, les commerces de proximité s’inquiètent de voir la désertification des centres-villes s’accentuer encore plus.

Et ces prévisions d’emplois ne prennent pas en compte ceux détruits par l’arrivée d’un énième centre commercial. Une étude indépendante, commandée par les élus du Blanc-Mesnil et réalisée par le cabinet Lafayette & associés, démontre la saturation en centres commerciaux dans les vingt kilomètres alentour : Rosny 2 (Rosny-sous-Bois), O’Parinor (Aulnay), Qwartz (Villeneuve-la-Garenne), Aéroville (Tremblay). Ce dernier, ouvert en 2013, vise d’ailleurs la même clientèle qu’EuropaCity mais n’a jamais atteint les 12 millions de visiteurs annoncés lors de sa conception. « Concernant l’emploi, nous dénonçons des affirmations sans preuves. Pour les transports, nous constatons que la gare de métro ne servira à aucun habitant. Quant à l’aspect culturel, je me pose une question : depuis quand mettons-nous la culture là où il n’y a pas d’habitants ? », résume Bernard Loup. Et, surtout, quelle culture et quel mode de vie seront mis en avant dans cette bulle consumériste ?

Écologie
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