Interdire la manif ? (Encore) un mauvais calcul d’Hollande et Valls…

L’interdiction annoncée puis annulée de la manifestation parisienne contre la loi travail pourrait bien mettre encore plus de monde dans la rue demain.

Michel Soudais  et  Pauline Graulle  • 22 juin 2016
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Interdire la manif ? (Encore) un mauvais calcul d’Hollande et Valls…
© Photo : ALAIN JOCARD / AFP.

Ouf, la manifestation contre la loi travail aura bien lieu demain ! Le gouvernement a finalement donné son accord à un parcours (autour du Bassin de l’Arsenal) accepté par les syndicats. Au vu du tollé, au sein même du Parti socialiste, suscité par l’hypothèse d’une interdiction, François Hollande ne pouvait guère faire autrement…

Reste que, même si l’interdiction est annulée, l’annonce même de l’éventualité d’une interdiction – du jamais-vu depuis la guerre d’Algérie – aura été un très mauvais calcul. Attisant la colère dans un pays déjà en surchauffe, elle risque d’entraîner un effet boomerang pour le gouvernement en mettant encore plus de monde dans la rue demain. Une erreur politique qui pourrait coûter cher à Manuel Valls…

Contre-productive

Chez les parlementaires de gauche, l’annonce a ainsi été contre-productive. Au point que 14 d’entre eux, qui ne comptaient pas forcément descendre dans la rue demain, seront finalement bien présents. « Nous parlementaires, porteurs de nos écharpes, serons présents demain solidairement aux côtés des organisations syndicales dans les conditions qu’elles auront choisies », viennent-ils d’indiquer dans un communiqué signé par des ex-socialistes ou socialistes frondeurs (Benoît Hamon, Pouria Amirshahi, Fanélie Carrey-Conte, Christian Paul, Philippe Noguès…), mais aussi par des communistes (André Chassaigne, Marie-George Buffet…) et des écologistes, comme Cécile Duflot.

Jean-Luc Mélenchon estimait lui aussi, tôt ce matin, qu’autorisée ou pas, la manifestation ne partirait pas sans lui demain : « J’annule ma présence à la session du Parlement européen à Bruxelles pour être présent dans la rue s’il le faut. Pour le retrait de la loi El Khomri mais aussi désormais pour la défense des libertés publiques », a-t-il écrit sur sa page Facebook, réclamant au passage la démission du Premier ministre.

© Politis

En tout début de matinée, une douzaine de partis de gauche avaient improvisé une conférence de presse, place de la Bastille. Annoncée la veille pour dénoncer le « rassemblement statique » voulu par les autorités et réclamer le retrait de la loi travail, elle s’est tenue quelques minutes après l’annonce préfectorale d’interdiction pure et simple.

Visiblement sous le choc, ces partis, parmi lesquels le PCF, le Parti de Gauche, Ensemble !, Europe Écologie – Les Verts, le Mouvement Républicain et Citoyen (MRC), la Nouvelle Gauche socialiste, le NPA et le POI, ont convenu qu’ils seraient « derrière les syndicats » s’ils décident de manifester, et appelé François Hollande à « revenir sur cette décision hallucinante », a indiqué Eric Coquerel, du Parti de gauche. « Le rôle des vrais militants socialistes, c’est d’être demain dans la rue aux côtés des salariés », a souligné Liêm Hoang-Ngoc, de la Nouvelle Gauche socialiste. « J’en appelle au gouvernement. Il est temps de retirer cette loi », a lancé la sénatrice Eliane Assassi, présidente du groupe communiste au Sénat.

« C’est sa propre autorité qu’il abîme »

À la gauche du PS, les réactions ont également été particulièrement vives. « Quel aveu de faiblesse et quelle blessure démocratique », a déploré l’ancien ministre de Hollande, Benoît Hamon. « Un gouvernement de gauche n’interdit pas une manif […]. Manuel Valls se rend-il compte qu’en voulant déchirer la gauche par tous les moyens, c’est sa propre autorité et celle de l’État qu’il abîme ? », s’est lui aussi indigné, sur Facebook, Guillaume Balas, député européen socialiste. Ce ne serait en effet pas la première fois que le président de la République joue avec le feu… et s’y brûle. Cela avait déjà été le cas avec la déchéance de nationalité.

« Envie de m’adresser aux camarades qui cautionnent peu ou prou, et souvent de bonne foi, ce qui se passe depuis six mois : honnêtement, la droite aurait proposé la déchéance de nationalité, réformé le code du travail à coup de 49.3, interdit de manifester, qu’auraient dit les socialistes, François Hollande en tête ? », a fait mine de s’interroger un autre représentant de l’aile gauche de Solférino, Emmanuel Maurel. Même Christiane Taubira a estimé sur Twitter : « Conquises, nos libertés publiques sont un bien précieux et méritent plus d’efforts pour être sauvegardées et exercées. » Pas besoin de décodeur pour comprendre le message…

Chez les Verts, Cécile Duflot a jugé qu’il serait « à la fois aberrant et désastreux » d’interdire la manifestation. « C’est une décision qui n’a pas été prise depuis la guerre d’Algérie, c’est une rupture frontale avec le mouvement ouvrier, a réagi, sur i-Télé Clémentine Autain, porte-parole d’Ensemble !. […] Ce qui se passe aujourd’hui en France, c’est historique, c’est une rupture radicale avec les valeurs de la gauche, avec les valeurs de la République. »

Opportunisme

À droite, les réactions ont été plutôt surprenantes. Opportunément, et contre l’avis du parti que, pourtant, il dirige (!), Nicolas Sarkozy a jugé « pas raisonnable » l’interdiction de la manifestation. Quant à Marine Le Pen, elle a tweeté ce matin : « L’interdiction des manifestations contre la #LoiTravail est une démission face aux casseurs et une atteinte grave à la démocratie. » Oubliant sans doute qu’elle avait déclaré l’inverse, il y a un mois, sur Europe 1 : « En situation d’état d’urgence, il n’y a pas de manifestation. Nous sommes la risée du monde. Nous sommes en état d’urgence. Or, il y a depuis deux mois dans notre pays des violences tous les jours, 300 policiers blessés, sans que le gouvernement soit capable de lever le petit doigt. » À force d’être contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est contre, on en revient parfois à être contre soi-même.

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