La gauche cherche sa voix

Entre alliances éclatées, calendriers opposés, divergences des positionnements et inimitiés personnelles, la perspective de la présidentielle de 2017 continue d’éloigner la gauche du nécessaire rassemblement.

Patrick Piro  et  Michel Soudais  • 1 juin 2016 abonné·es
La gauche cherche sa voix
© Alain Pitton /NurPhoto/AFP

On le pressentait. Pour le Front de gauche, 2017 ne ressemblera pas à 2012. Deux rendez-vous politiques concurrents prévus le samedi 5 juin mettent en scène la fin de l’alliance initiée pour les élections européennes de 2009 entre le Parti communiste (PCF) et le Parti de gauche (PG). En début d’après-midi, le cofondateur de ce dernier, Jean-Luc Mélenchon, désormais candidat à la présidentielle « hors cadre des partis », organise, sur la place où il avait lancé sa campagne il y a cinq ans, un « défilé des insoumis », en fait un rassemblement, au cours duquel il prendra la parole. À quelques encablures de là, le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, a ajouté au programme du congrès de son parti qui devait se terminer à la mi-journée « un pique-nique festif en hommage aux 80 ans du Front populaire ».

Voilà qui dit tout de l’état des relations entre la direction du PCF et son ex-allié. Depuis les régionales, au moins, le numéro un communiste a engagé son parti sur une ligne « tout sauf Mélenchon ». C’est ainsi que Pierre Laurent a répondu favorablement à l’« appel pour une primaire des gauches et des écologistes » initié par une cinquantaine de personnalités et le journal Libération, dès sa parution. Avec un argument assez semblable à celui auquel recourt ordinairement la direction du Parti socialiste pour justifier ses appels au « vote utile » : afin d’éviter de se retrouver au soir du 23 avril 2017 dans la situation des électeurs de Paca ou des Hauts-de-France, qui ont vu la gauche éliminée dès le premier tour et ont été contraints de devoir choisir entre la droite et l’extrême droite, il faut s’entendre sur un candidat capable d’accéder au second tour.

« Avec un candidat qui fait 10 % et une très belle campagne comme celle que nous avons faite en 2012 [avec Jean-Luc Mélenchon, NDLR], on n’enraye pas le scénario du tripartisme. Pour ce faire, il faut créer les conditions d’une candidature qui soit d’une autre dimension », plaidait-il, le 8 mars, dans un débat place du Colonel-Fabien. « Pour les communistes, 2017 ne peut pas être la reproduction des élections présidentielles précédentes », lit-on dans la plateforme commune du 37e congrès. D’où, durant tous les mois d’hiver, une multiplication de débats pour « tenter de faire converger toutes les forces disponibles pour construire une alternative »

Cette stratégie de rassemblement des forces de gauche a également les faveurs de la majorité des animateurs d’Ensemble ! « Tout doit être fait pour aller dans le sens du rassemblement des forces de gauche opposées à la politique du gouvernement », affirme le projet de texte d’orientation en discussion à l’assemblée générale de cette troisième composante du Front de gauche, les 11 et 12 juin. « Mon objectif n’est pas de rassembler la gauche, parce que rassembler la gauche, c’est rassembler des gens dont la moitié dégoûte l’autre, affirme au contraire Jean-Luc Mélenchon. Mon objectif est de fédérer le peuple. »

« Le projet que je présente n’est pas un projet pour la gauche, mais un projet pour le pays », expliquait-il le 13 mars sur France 5, justifiant sa candidature « hors cadre des partis » de deux raisons : le refus de perdre du temps à expliquer qu’il représente la vraie gauche quand « pour des millions de gens la gauche, c’est la “gôche” qui est au gouvernement » ; et de manière à ce que « les gens puissent librement, avec une carte ou pas, participer au processus » de construction du « courant d’idées » qu’il veut représenter. Et décider ensuite de le transformer ou non en force politique.

À trois jours de l’ouverture du 37e congrès du PCF, en dépit des réserves émises par ses propres troupes, Pierre Laurent restait convaincu que « favoriser le rassemblement de la gauche qui ne veut pas de la politique du gouvernement est le bon cap ». « Nous allons lancer un appel très clair au congrès pour poursuivre jusqu’à l’automne nos efforts pour obtenir une candidature commune qui soit une candidature d’alternative à gauche et ne pas laisser l’émiettement qui est en train de se préparer aller à son terme… », a-t-il déclaré sur LCI, lundi 30 mai.

Le résultat des assemblées régionales d’EELV tend effectivement à l’émiettement. La motion majoritaire, portée par David Cormand, reprend l’analyse qui a cours à EELV depuis des années : l’écologie politique doit être la « colonne vertébrale » d’une recomposition du champ politique français et européen qui se démarque des pôles social-libéral et national-autoritaire. Pour 2017, le texte privilégie « une candidature de l’écologie, issue ou non des rangs du mouvement ». De l’avis autorisé de David Cormand, Jean-Luc Mélenchon, en dépit de son programme anti-productiviste, n’a pas le profil du « porteur de projet écologiste » que soutiendrait EELV.

Pour une candidature autonome, restent donc trois noms : Cécile Duflot, naturellement, en représentante d’une « recomposition » écolo-sociale que EELV appelle de ses vœux. Il y a aussi l’hypothèse « Noël Mamère », détenteur du meilleur résultat pour un candidat écologiste à une présidentielle (5,25 % en 2002). Enfin, Nicolas Hulot « arrangerait tout le monde », selon Patrick Farbiaz. L’écologiste dispose toujours d’une très forte cote dans l’opinion [^1] mais son indécision est un handicap sérieux.

Si le PCF semble peu pressé de déterminer quel sera son candidat à la présidentielle, ses responsables appellent à s’engager au plus vite dans la préparation des législatives. Il s’agit de « faire front contre les volontés de marginaliser les partis politiques », expliquait le 25 mai Pascal Salvoldelli dans Communistes, le « lien d’échanges et de communication » inséré chaque mercredi dans l’Humanité. Au passage, ce responsable du secteur élections rappelait que « le financement public des partis est assis sur le nombre de parlementaires et le nombre de voix aux législatives. Ce qui veut dire qu’aucune voix, aucun candidat ne sont inutiles ». À cette aune, les velléités d’impliquer les citoyens dans la construction des projets et le choix des candidatures, « circonscription par circonscription », inscrites dans une résolution au conseil national du 15 avril, semblent bien avoir été sacrifiées, puisque la liste des candidats est déjà bien avancée. La même résolution annonçait toutefois qu’un « cycle de formation nationale » pour les candidats et leurs équipes serait mis en place « dès cet été », attestant qu’aux yeux du PCF, la présidentielle n’est pas l’enjeu principal. La désignation du candidat que le parti soutiendra peut bien attendre novembre.

[^1] 24 % des électeurs voteraient pour lui au premier tour selon un sondage Odoxa-Le Parisien, 8 mai.

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Gauche : des stratégies divergentes
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