Nous. N’avons. Rien. Dit.

Je n’ai vraiment pas cru que les seuls faits de débattre et de militer pouvaient être criminalisés.

Sébastien Fontenelle  • 15 juin 2016 abonné·es
Nous. N’avons. Rien. Dit.
© Photo : Geoffroy Van der Hasselt / AFP.

On s’habitue, t’as vu ? On s’offusque, on se scandalise, on gueule un peu – et des fois même un peu plus fort. Mais, à la vérité, par ces temps dégoûtants de « socialisme » régimaire, on s’habitue. On s’habitue à tout. On s’habitue au pire. On – toi, moi, nous – accepte l’inacceptable. Puisqu’il perdure. On a toléré, par exemple, que des militant(e)s écologistes soient assigné(e)s à résidence, sous le couvert – qui de fait les assimilait donc à de potentiel(le)s terroristes – de l’état d’urgence, et au prétexte ahurissant qu’ils « menaçaient » de manifester. Ça ne nous a, en vérité, pas du tout précipité(e)s par millions dans les rues. Nous avons laissé faire. Il va de soi que c’était un coup de sonde : passera-ce ? Oui, c’est passé.

Alors, bien sûr : ça continue. En même temps que j’écris ceci, je lis, chez Paris-luttes.info [^1], qu’avant le défilé parisien du 14 juin contre la loi (dite) El Khomri, qui promet semble-t-il d’être un peu dense : « L’État relance une série d’interdictions de manifester. » Plus précisément : « Plusieurs personnes participant au mouvement social contre la loi travail se sont vu notifier samedi par les forces de l’ordre des interdictions d’être présentes à la manifestation du 14 juin et dans le quartier de République. » Le gouvernement « de gauche [^2] » qui, depuis quatre ans, étend sur nos vies son emprise ne leur interdit donc pas seulement de participer à des manifs mais également de Nuit-debouter – et pourquoi se briderait-il, puisque nous le laissons faire ?

Tout récemment, deux militants – Hugo Melchior et Hugo Poidevin, qui ne font « l’objet d’aucune poursuite judiciaire » – ont été, à titre également « préventif », interdits de séjourner dans le centre de Rennes. Interviewé par Le Monde, le préfet de l’Ille-et-Vilaine s’est justifié dans ces termes d’avoir pris cette mesure : « On n’est pas sur [^3] des personnes qui vont à l’affrontement. Ce sont plutôt des personnes qui animent le débat, mais on estime qu’elles jouent un rôle actif dans le déroulement des manifestations. »

Et quand j’ai lu ça, je me suis, comme toi, très – très – vigoureusement frotté les œils. Car je n’ai d’abord pas cru qu’un représentant autorisé de l’État « socialiste » puisse si nettement décréter (et revendiquer) que l’animation du débat public et la participation active au déroulement de manifestations étaient dorénavant passibles d’une peine de confinement.

Non, Gaston : je n’ai vraiment pas cru que les seuls faits de débattre et de militer pouvaient désormais être clairement criminalisés – parce que, dans mon esprit, ces choses-là n’arrivent qu’ailleurs, sous les lointaines latitudes des ordres militaires.

Puis je me suis rendu à l’évidence que ces mots avaient bien été dits, et rapportés par la presse – et j’ai guetté l’indignation qui allait dès lors, et forcément, gagner le monde libre. Je l’ai, même, attendue. Mais t’sais quoi ? Nous. N’avons. Rien. Dit. Pauvres de nous…

[^1] Où tu serais bien inspiré de te rendre régulièrement.

[^2] Comme s’obstine à l’appeler la presse comme il faut, en dépit de l’évidence qu’il est d’une fort roide droite.

[^3] Sic.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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