Orlando : la démagogie ne profite pas à Trump

La tuerie du 12 juin pourrait n’avoir aucune conséquence sur la campagne électorale, les réactions de chacun des candidats ayant satisfait leurs électeurs respectifs.

Alexis Buisson  • 22 juin 2016 abonné·es
Orlando : la démagogie ne profite pas à Trump
© Photo : Ralph Freso/Getty Images/AFP.

En 2004, George Bush et John Kerry ont eu l’après-11 Septembre. Barack Obama et John McCain la crise financière de 2008. Donald Trump et Hillary Clinton auront-ils Orlando en 2016 ? Les crises, quelle que soit leur nature, exercent un impact sur les campagnes présidentielles. Et depuis que quarante-neuf personnes ont été tuées dans une boîte de nuit gay d’Orlando, dans la fusillade la plus meurtrière de l’histoire des États-Unis, beaucoup de commentateurs se demandent si la tragédie profitera davantage à Donald Trump ou à Hillary Clinton, au moment où les deux candidats entament une bataille post-primaires qui s’annonce très animée.

Pour le moment, Hillary Clinton semble tenir la corde. Dans un sondage de la chaîne Bloomberg paru quelques jours après la tuerie, l’ex-première dame devançait largement son tonitruant rival. Elle obtenait 49 % des intentions de vote, contre 37 % pour son adversaire parmi les électeurs susceptibles de se rendre aux urnes en novembre. Motif de satisfaction supplémentaire pour la Démocrate : 55 % des sondés affirment qu’ils ne voteront jamais pour le développeur immobilier, star de la télé-réalité.

Un autre sondage (CBS News) montre que la moitié des électeurs désapprouvent la manière dont Trump a géré le drame d’Orlando. « Hillary Clinton a clairement fait un meilleur travail pendant la période post-Orlando, juge Julian Zelizer, professeur d’histoire et d’affaires publiques à Princeton. Donald Trump n’a pas montré de manière positive comment il gouvernerait dans une situation de crise de sécurité nationale. »

Sur Orlando, Trump a fait du Trump et Clinton du Clinton. Dans un message publié juste après la tuerie, le Républicain s’est flatté d’avoir eu « raison sur le terrorisme islamique radical ». Une manière de rappeler ses positions anti-immigration et sa proposition de suspendre la venue de musulmans aux États-Unis – une mesure qui aurait été inopérante dans le cas du tueur d’Orlando, qui est né à New York. Dans un communiqué de presse publié dès le dimanche 12 juin, jour de la fusillade, il a demandé ni plus ni moins la démission de Barack Obama et le retrait de la course d’Hillary Clinton, en les accusant d’être « faibles » et de ne pas oser prononcer les mots « islam radical ». « Si on ne devient pas intelligents et fermes rapidement, nous n’aurons plus de pays », a-t-il lancé, tout en accusant Clinton de vouloir « augmenter drastiquement » l’admission de réfugiés syriens aux États-Unis.

Obama et Clinton ont répondu, en substance, que la terminologie ne changeait rien et que seules les actions comptaient. Barack Obama, visiblement remonté, a attaqué frontalement Donald Trump, ce qui est rare pour un président en exercice. « Où est-ce que cela s’arrête ? », s’est-il demandé devant un parterre de journalistes la semaine dernière. « Est-ce que les officiels républicains sont d’accord avec cela ? Parce que ce n’est pas l’Amérique que nous voulons – cela ne reflète pas les idéaux démocratiques. Cela ne va pas nous mettre plus en sécurité, mais moins. »

Hillary Clinton, elle, s’est montrée mesurée. Elle a publié un premier message de condoléances sur Twitter, en attendant d’en savoir plus sur la tuerie, avant de réitérer ses propositions pour un meilleur contrôle des armes à feu et l’interdiction des ventes d’armes aux individus sous surveillance du FBI. Dans les jours qui ont suivi, elle a redoublé ses attaques contre le milliardaire, en moquant sa réaction et en appelant à ne pas stigmatiser la communauté musulmane. Trump, a-t-elle dit lors d’un forum en Virginie mercredi dernier, « n’a pas le tempérament adéquat et est totalement incompétent » pour assurer la fonction de chef des armées. « Après tous les discours incohérents sur Twitter et les théories du complot entendues récemment, il est l’heure d’avoir une discussion sérieuse sur comment protéger le pays », a-t-elle taclé.

Jusqu’à présent, les épisodes de crise avaient bien aidé Donald Trump. Le site d’analyse politique FiveThirtyEight a noté que les scores du Républicain dans les sondages s’amélioraient à la suite d’actes terroristes, comme les attentats de Paris, de Bruxelles et de San Bernardino. Selon les sondages sortis des urnes dans -plusieurs États, les électeurs qui ont voté Trump étaient motivés par ses positions sur l’immigration, en particulier sa volonté d’interdire la venue de musulmans aux États-Unis. Selon FiveThirtyEight, deux tiers des Républicains qui sont d’accord avec cette interdiction votent Trump. L’homme d’affaires a, en outre, une meilleure image qu’Hillary Clinton dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.

Mais la tuerie d’Orlando n’est pas celle de San Bernardino, par exemple, où les motivations terroristes étaient claires. Le fait qu’un lien direct entre le tueur, Omar Mateen, et l’État islamique n’ait pas été prouvé, et que l’arme à feu ayant servi lors de la tuerie ait été achetée légalement diminuent les répercussions politiques de la tragédie, selon Darren Davis, professeur de sciences politiques à l’Université Notre-Dame et spécialiste des questions de comportement électoral. « Le 11 Septembre ou les tueries aléatoires dans des écoles ou des centres commerciaux ont généré une situation d’anxiété que n’a pas produite Orlando, estime-t-il. Je n’aime pas dire cela, mais les Américains se sont “habitués” à ces fusillades, ils sont désensibilisés. Dans le cas de tueries ciblant une certaine population, comme à Orlando, le reste du pays n’a pas le sentiment d’être en insécurité et voit l’évènement de manière distante. »

Pour cet expert, la tuerie pourrait n’avoir aucune conséquence de long terme sur la -campagne. « Les deux candidats gèrent bien l’après-attentat du point de vue de leurs électeurs respectifs. Les gens qui critiquent Trump pour ses propos sur Orlando ne sont pas ceux qui votent pour lui. La société américaine est très polarisée en ce moment. Trump dit les mêmes choses que celles qui l’ont fait monter dans les sondages. Pour ses opposants, il est raciste, xénophobe et intolérant. Mais ce que dit Hillary Clinton rebute aussi ceux qui ne votent pas pour elle. » L’enjeu, poursuit Darren Davis, sera de voir de quel côté pencheront les électeurs dits « indépendants ». « Après le 11 Septembre, ils ont eu tendance à voter pour le candidat qui leur donnait un sentiment de sécurité, en l’occurrence George Bush en 2004, face à John Kerry. En 2016, il est trop tôt pour dire comment ils voteront. »

« On ne sait jamais dans quelle direction les événements de sécurité nationale poussent les électeurs, ajoute Julian Zelizer. Normalement, ce genre d’épisode ne profite pas au parti au pouvoir. Mais il est intéressant de voir la rapidité avec laquelle Donald Trump a cristallisé les critiques. Par ailleurs, l’opinion publique passe rapidement d’un sujet d’actualité à l’autre. Nous sommes dans un environnement qui évolue très vite. Si les choses restent comme elles sont sur Orlando, cela ne deviendra pas un facteur décisif en novembre, quand les électeurs iront aux urnes. »

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