Pierre Laurent, le commun d’abord !

Sous couvert de rassemblement dans l’optique d’une primaire de gauche, le numéro 1 du PCF, décrit comme sincère et expérimenté, entend surtout sauver les meubles d’un parti à la dérive auquel il tient plus que tout.

Pauline Graulle  • 1 juin 2016 abonné·es
Pierre Laurent, le commun d’abord !
© FRANCOIS PAULETTO/ CITIZENSIDE/AFP

C’est un peu comme s’il était au bout d’un plongeoir. Et qu’il avait rebroussé chemin. Cette fois-ci, c’est décidé : Pierre Laurent ne suivra pas Jean-Luc Mélenchon. Le PCF ne rejoindra pas l’allié de 2012, parti sans l’attendre pour la présidentielle de 2017. Une question de fierté peut-être : « L’injonction au ralliement, ça ne marchera pas », dit Pierre Laurent, sibyllin derrière ses lunettes rondes. De conviction surtout : « Le Front de gauche a été une belle expérience. » Car « l’expérience », juge-t-il, manifestement peu nostalgique de la période, a échoué. La preuve, le bon score à la présidentielle de Mélenchon ne s’est pas confirmé aux législatives. C’est le moins qu’on puisse dire, avec la moitié des députés non reconduits à l’Assemblée. Même dans les bastions historiques. Ça a été un choc pour le secrétaire national. Dont acte.

Fini donc, le tandem entre le coco à la papa et le socialo repenti. Entre le calme et la tempête. Laurent laisse à Mélenchon l’échappée en solo à la rencontre du peuple. À Mélenchon la rupture. À lui rassemblement. Le dirigeant du PCF promet un nouveau « front populaire et citoyen, le plus large possible » – entendez rouge, rose, vert. Et une primaire, à l’automne, pour désigner le candidat. « Si les forces se donnent la main, ça soulèvera un énorme espoir dans le pays, et Jean-Luc sera obligé de suivre le processus », parie-t-il.

En attendant, le sénateur de Paris a entamé un « tour de France » à la rencontre des citoyens. Et n’a que les mots « construction », « convergence », et « recherche du choix collectif maximum » à la bouche. Il en est persuadé : c’est autour des frondeurs socialistes que se jouera 2017. Et puisque l’enjeu est de faire tomber dans l’escarcelle ces « Mélenchon-sceptiques », l’aventure gaullienne de « Méluche » n’a pas que des désavantages…

Seul hic – de taille : le héraut du rassemblement est en réalité bien seul. Plus il se rapproche des sociaux-démocrates, moins son parti le suit. Fait inédit dans la longue histoire du communisme français, le patron de la Place-du-Colonel-Fabien n’a rassemblé que 51 % des votants sur le texte qu’il a présenté pour le 37e congrès du PCF, le 6 mai. « Et si on soustrait tous ceux qui ont voté pour la ligne de la direction pour ne pas affaiblir le parti, Pierre est minoritaire », avance un spécialiste de la maison. Pis, son texte n’obtient pas la majorité absolue dans sa propre fédération, à Paris.

Deux ans après le divorce des municipales – la direction du PCF avait alors préféré faire liste commune dans la capitale avec la socialiste Anne Hidalgo plutôt qu’avec ses partenaires du Front de gauche –, c’est le divorce d’avec la base. Alors que les militants trépignent de croiser le fer, le rassemblement proposé par Laurent leur apparaît comme un « gloubi-boulga » douceâtre. C’est sûr que le questionnaire, lancé pour alimenter le « socle commun » – le programme à venir qui remplacera « L’humain d’abord ! » de 2012 –, a de quoi décontenancer. Loin du projet communiste de transformation de la société, on doit y cocher ce qui semble « prioritaire » parmi les items suivants : « Avoir un emploi stable »/« Partir à la retraite plus tôt »/« Être mieux soigné »« Il y a une vraie crise de sens à l’intérieur du parti, les gens ne comprennent plus », témoigne un militant tenté, comme un bon quart de ses camarades, de réitérer l’aventure du Front de gauche. Version Mélenchon puisqu’il le faut.

Malgré ce désaveu cuisant, qu’il met sur le compte de « la période politique en général », Pierre Laurent veut croire en sa chance. Pas la sienne, en particulier. Celle de son parti. Qu’il considère encore seul à même de « tenir la gauche debout ». Il faut dire que depuis sa contre-performance aux régionales de 2015, où il n’a rassemblé que 6 % des suffrages en Île-de-France alors qu’il s’imaginait déjà présidentiable, le sénateur de Paris a mis ses ambitions en sourdine.

De toute façon, les feux de la rampe n’ont jamais été vraiment son truc. Plutôt réservé, plus intello que tribun, il n’est pas le genre à soulever les foules. Un animal politique à sang froid. Que ses défenseurs trouvent « placide, authentique, rassurant ». Et ses pourfendeurs, « terne, lisse, mou ». Lui rejette les débats sur sa personnalité d’un sincère revers de main : « La personnalisation, ça assèche le débat, et ma carrière n’a jamais été ma préoccupation. »

« Pierre ne pense pas à sa petite personne. Il est loyal et authentique. En ces temps de dégoût pour la politique politicienne, sa pratique raisonnée et sincère de la politique peut constituer un renouveau », affirme Isabelle Lorand, sa vieille copine de l’Union des étudiants communistes avec qui il partage le goût pour la pétanque. Et puis, finalement, Pierre Laurent ne se défend pas si mal au petit jeu du « moi je ». Inonder les journalistes sous les communiqués de presse, il sait faire. Et dans le concert des grandes gueules, Mélenchon ou Montebourg, « il a fini par faire entendre sa petite musique », remarque Marie-Pierre Vieu, élue communiste en Midi-Pyrénées. « Il progresse », ironise-t-on dans le parti.

À sa décharge, la politique n’est que la deuxième vie de Pierre Laurent. S’il est tombé dedans quand il était petit – son père, Paul Laurent, était « responsable à l’organisation » sous Georges Marchais, soit le numéro 2 du parti –, l’étudiant en économie, militant coco, bifurque vers le journalisme. Sans surprise, c’est à L’Humanité qu’il fait ses armes. Il en deviendra, une décennie durant, un directeur très apprécié. Connu pour son sens du débat. Et son flegme, à toute épreuve.

Après quelques années à fréquenter les bancs des instances nationales du Colonel-Fabien, il est choisi en 2010 pour succéder à Marie-George Buffet. On chuchote que c’est « plus pour son fond que pour son charisme ». Le quinquagénaire n’a pas d’expérience d’élu, mais il a le pedigree. Et la rondeur de caractère. Sa lettre de mission : conserver le parti. Envers et contre tout. Au point que Jean-François Gau, l’éminence grise du PCF, souligne alors la « continuité de direction » depuis… 1930 !

Le poids de l’héritage (familial), voilà ce qui expliquerait aujourd’hui sa frilosité. Son refus constant, depuis 2012, d’organiser le Front de gauche avec des adhésions directes pour en faire un Syriza à la française. « La dilution du PCF dans un mouvement global n’est pas souhaitable », prévient-il. Les velléités de Mélenchon de faire une OPA sur le PCF ne l’ont pas rassuré. Ni l’accumulation des défaites politiques depuis 2012, qui ont encore fragilisé l’appareil. Son entourage politique d’apparatchiks – ce qu’il n’est pas – n’aide pas non plus à le pousser hors de ses retranchements. Résultat, comme une lutte inconsciente contre la pente fatale prise par le parti, l’ancien néophyte est devenu un super-cumulard : secrétaire national du Parti communiste, sénateur, président du Parti de la gauche européenne (PGE). « La vie politique est comme ça », s’excuse-t-il presque, glissant qu’il s’apprête à ne pas demander la reconduction à laprésidence du PGE.

« Pierre est arrivé à la tête d’un parti très mal en point, qui a perdu un tiers de ses élus depuis 2008. Le Front de gauche a réussi pendant un temps à contenir le déclin, mais pas à l’enrayer. Je crois que sa hantise, c’est que les communistes finissent comme les Verts à l’Assemblée », analyse l’historien du communisme Roger Martelli. Pas de malice politicienne là-dedans. Plutôt un genre de méthode Coué. Quand on n’a plus grand-chose à perdre, on y tient plus que tout. « Pierre gère le parti comme une peau de chagrin, se désole Francis Parny, communiste démissionnaire du comité national exécutif. Il ne croit plus que le PCF peut changer radicalement la société. Il reste convaincu qu’on ne peut pas construire une majorité sans le PS, c’est une vision des années 1970, sans audace. »

Champion de « l’esquive », Pierre Laurent pâtirait, selon Parny, d’une absence de vision. D’un cruel manque de flair. « Il n’a pas la capacité à sentir ce qui se passe dans le pays, abonde Danielle Simonnet, chef de file du Parti de gauche dans la capitale. Dans le contexte actuel de bras de fer, de lutte des classes, on ne peut pas être dans l’entre-deux. À vouloir rassembler tout le monde, on ne rassemble personne. »

Et l’on se dit en effet que le secrétaire national pourrait bien être pris à son propre piège. Du moins à celui du rusé Mélenchon. « Dans tous les cas de figure, le PCF est perdant », résume Roger Martelli. Si primaires il y a, les frondeurs remporteront la mise et le PCF, cantonné au second rôle, risque d’avoir lâché la proie pour l’ombre. Si le rassemblement échoue, Laurent sera bien obligé de manger son chapeau et de rallier, à son corps défendant, Mélenchon et ses insoumis. Avec quelles conséquences sur la crédibilité du parti ? « Il s’est mis tout seul dans un immense pétrin », regrette un proche. À tout le moins dans un dilemme cornélien. Choisir entre sauver le parti ou en sauver l’idéal.

Politique
Publié dans le dossier
Gauche : des stratégies divergentes
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