Ce n’est pas ce que vous voyez

Trois albums pour changer de regard : sur le « je » et le genre, sur le point de vue et la cible, et sur les migrations.

Ingrid Merckx  • 20 juillet 2016 abonné·es
Ce n’est pas ce que vous voyez
© Buffalo Belle, Olivier Douzou, Le Rouergue, 56 p., 12 euros. Regarde en haut, Jin-Ho Jung, adapté du coréen par Alain Serres, Rue du monde, 48 p., 16 euros. Planète migrants, Sophie Lamoureux, illustré par Amélie Fontaine, Actes Sud, 80 p., 15,50 euros.

C’est un poème en « il » et en « elle ». Pour les enfants qui se posent la question du « je » et du pronom qui leur va le mieux. L’histoire d’une petite Annabelle qu’on appelle Annabil et qui joue à devenir Buffalo Belle dans des western-vermicil. « À cet âge-là, pas de pérelle si tu préfères il à elle ou elle à il ».

Olivier Douzou ne met pas de point final à ses phrases, comme pour ne pas clore le sujet, et il écrit les pronoms en gras dans ce texte parfois mieux lu à voix haute. Sur les pages, la silhouette d’un enfant apparaît tracée au noir, crayon gras ou fusain, une mèche, un sourire, des jambes nues, des contours incertains, un regard par intermittence comme dans un film en super 8. Quand son mystère devient « secret de polichinil », la rebelle se fait « la bil » au mois « d’avrelle ». « Je vous jure que ma jument avait des ailes ».

Noir et blanc et changement de perspective également dans Regarde en haut,où Jin-Ho Jung dessine vu du ciel. Plus exactement au-dessus du crâne d’une petite confinée chez elle après un accident. Elle regarde par la fenêtre un monde qui ne la voit pas. Jusqu’à ce qu’un petit garçon lève les yeux et crée un contact vertical. Lui faisant remonter l’ascenseur du regard et des attentions. S’allongeant pour mieux la voir, face au ciel, elle face au sol, moins seule. Les têtes des passants sont des points, les arbres sans feuilles des croix sombres dans des cercles. La tête de la fillette occupe la moitié des pages de droite, les mains accrochées sur la rambarde de profil, la frange prolongée par le nez qui flèche vers le bas.

Amélie Fontaine a choisi le noir aussi dans Planète migrants pour tracer à l’encre têtes et traits, parfois des éléments de silhouettes, bras, ou jambes. Les tissus, vêtements, toiles de tente ou couvertures, sont en couleur, égayant les plans fixes qui illustrent ce documentaire capital en 2016. Une approche très pédagogique et très fournie en chiffres – 232 millions de migrants dans le monde, 740 millions de migrants internes – qui répondent de manière synthétique et pas trop simplifiée à des questions ardues comme : « C’est quoi, un migrant ? », « Pourquoi quitter son pays ? », « Comment devient-on français ? » Journaliste et auteur de documentaires, Sophie Lamoureux prend soin d’esquiver les polémiques avec des définitions d’apparence neutre. Mais la neutralité existe-t-elle ? Au-delà de sa fonction informative, cet album installe une bonne base de discussion.

Littérature
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