Ce qui pousse les hommes à l’exil…

Dans deux registres différents, Thierry Thieû Niang et Omar Abu Saada donnent au festival une couleur plus politique.

Anaïs Heluin  • 13 juillet 2016 abonné·es
Ce qui pousse les hommes à l’exil…
© Photo : Christophe RAYNAUD DE LAGE.

Des corps mal assurés, enlisés dans la répétition d’une même chute ou coincés quelque part entre la vie et la mort. Avec Au cœur,de Thierry Thieû Niang, et Alors que j’attendais,mis en scène par Omar Abu Saada, le « in » d’Avignon se fait reflet d’un malaise ambiant. Celui qui pousse des hommes à l’exil un peu partout dans le monde. En Syrie en particulier.

Créé avec treize enfants et adolescents rencontrés dans des associations du Grand Avignon et dans des ateliers de pratique artistique menés à la Fondation Lambert, le premier spectacle part de l’image très médiatisée du petit Aylan, échoué en septembre dernier sur une plage turque. Sur un plateau nu (à l’exception d’une œuvre de Claude Lévêque), les interprètes dansent la noyade sur un air de viole de gambe. Sans parvenir, hélas, à faire de leur fragilité la base d’une narration.

Sans la feuille de salle, en effet, rien ne permet de faire le lien entre le petit Aylan et les jeunes corps qui tombent puis se relèvent tout au long du spectacle. Pas même le texte de Linda Lê écrit pour l’occasion. Avec de nombreuses métaphores, celui-ci dépeint une humanité en déshérence mais il n’est pas assez fort pour masquer la pauvreté du langage chorégraphique ni l’hésitation des danseurs amateurs.Car, finalement, on ne voit que ça : des amateurs qui font de leur mieux pour exécuter leur partition, sans rien raconter d’autre que leur propre histoire. Et celle d’un festival auquel on reproche souvent de ne pas être suffisamment ancré dans son territoire. D’âges et de couleurs différents, ils se perdent dans le flou du très consensuel « vivre-ensemble ». De là à dire qu’ils incarnent la bonne conscience du festival…

L’annonce d’un focus sur le Moyen-Orient pouvait laisser craindre un opportunisme semblable. Alors que j’attendais, mis en scène par Omar Abu Saada, dissipe le doute sans toutefois susciter l’enthousiasme. Repéré en France grâce à son Antigone of Shatila (2014), où il faisait jouer dix-sept réfugiées syriennes au Liban, le metteur en scène, lui-même exilé en Europe, porte cette fois sur scène le texte d’un auteur avec qui il a déjà beaucoup travaillé : Mohammad Al Attar, un des rares dramaturges syriens reconnus internationalement, engagé dans une exploration de la Syrie d’après 2011. Alors que j’attendais témoigne, à travers l’histoire de Taim et de sa famille, d’une société en souffrance. Partagée entre l’attachement à un Damas devenu invivable et un désir d’ailleurs.

Avec cette pièce, Mohammad Al Attar et Omar Abu Saada poursuivent leur recherche d’un théâtre de fiction marqué par l’influence du théâtre de l’Opprimé, très développé en Syrie et dans les camps libanais. L’histoire est simple : tombé dans le coma après une mystérieuse agression, Taim voit ses proches lui rendre visite et se déchirer. Du haut d’un étage partagé avec un autre comateux qui se rêve « DJ de Damas », le jeune homme se fait témoin de la Syrie actuelle. Si les constats dressés ne sont pas sans intérêt, les personnages manquent trop de densité pour posséder une véritable force dramatique. Heureusement, le focus Moyen-Orient n’a pas dit son dernier mot.

Théâtre
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