La douleur et le crime

Moi, Olga, de Tomas Weinreb et Petr Kazda, est le portrait saisissant d’une jeune homosexuelle qui a terrifié la Tchécoslovaquie des années 1970.

Ingrid Merckx  • 6 juillet 2016 abonné·es
La douleur et le crime
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En rentrant de chez le médecin, sa mère lâche : « Il faut beaucoup de volonté pour se suicider, ma fille. Tu n’en as pas assez. » Direction la maison de correction, où Olga (Michalina Olszanska) n’a envie ni des caresses des autres filles ni de fumer à la fenêtre. Elle préfère s’absorber dans des lectures comme Un Américain bien tranquille. Elle est tabassée. On la retrouve chez elle, une frange effrontée, fumant comme un pompier, écrivant sur la violence et la solitude, envoyant paître les fantômes de conformisme qui lui servent de famille dans la Prague corsetée des années 1970. Elle est filmée comme une actrice des années 1960, mini Seberg ou Karina. La coupe, les yeux de faon, la manière de tirer sur sa cigarette dans un noir et blanc duveteux qui adoucit l’aigreur du propos.

Car Olga est d’une insondable tristesse. Abîmes de l’adolescence ? Sévices ? Démence ? Elle marche les épaules en dedans, regarde par en dessous, répond comme si elle avait été battue comme plâtre toute sa vie. Le feu follet en veut à la terre entière : « Ma folie est clairvoyante, un jour vous paierez pour vos rires et mes larmes. » Son premier sourire, c’est après avoir embrassé une de ses collègues au garage où elle travaille. Quand elle se dira -lesbienne, portant pantalon, conduisant camion, clochardisée comme une petite sœur de Jean Genet, on se prendra à espérer qu’assumer cette identité entre les carcans religieux, soviétique et psychiatrique sera libérateur. Mais Olga ne cherche pas la liberté. Elle veut se venger. Devenir non la folle (ce serait encore la mettre au ban) ni la suicidée (ce serait mourir en silence), mais la figure de proue d’une lutte criminelle contre l’oppression des souffre-douleur.

Forte d’une intelligence façonnée dans les livres et d’une haine grandissante, elle s’enfonce dans les bas-fonds sans jamais cesser de renvoyer ceux qui l’observent à leurs responsabilités. Fumée, vitres, cheveux, Tomas Weinreb et Petr Kazda glissent des écrans devant elle. Et quand il n’y en a pas, c’est son visage qui fait barrage, sa gueule d’ange voulant comme démentir l’immense souffrance qui cogne derrière.

Personnage tiré d’une histoire vraie, Olga Hepnarova a 22 ans et veut voir jusqu’où va le désespoir. On attend, en vain, celui ou celle qui lui viendra en aide. Une amante, un marginal, un médecin, l’avocat, sa mère enfin ? Cette femme raide comme la justice vers qui convergent tous les soupçons, mais aussi toute l’inacceptable impuissance.

Cinéma
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