Turquie : l’échec du putsch renforce Erdogan

La tentative de coup d’Etat militaire qui a secoué le pays dans la nuit de vendredi à samedi a été mise en échec. Mais l’événement aura inévitablement des conséquences politiques.

Politis.fr  • 16 juillet 2016
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Turquie : l’échec du putsch renforce Erdogan
© Photo: Des partisans du président turc Erdogan sur un char repris à des soldats putschistes (Gokhan Tan / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images/AFP)

Après les incertitudes et les violences de la nuit, les autorités turques pavoisent. La tentative de putsch de militaires rebelles à laquelle se sont opposées des forces loyalistes et des dizaines de milliers de personnes descendues dans les rues du pays « a été mise en échec », a annoncé à la presse le général Ümit Dündar, chef de l’armée turque par intérim.

Humainement, le bilan de cette nuit d’affrontements, avec avions de chasse et chars, émaillée de scènes de violences, inédites à Ankara et Istanbul depuis des décennies, est lourd. Selon le général Ümit Dündar, nommé en remplacement du chef d’état-major, le général Hulusi Akar, retenu tout au long de la nuit par les rebelles avant d’être libéré lors d’une opération militaire menée contre une base aérienne de la banlieue d’Ankara, 104 putschistes ont été abattus, 90 personnes – 41 policiers, deux soldats et 47 civils – « sont tombées en martyres » dans les violences, et 1.563 militaires ont été arrêtés en lien avec ce putsch. En début de matinée l’agence pro-gouvernementale Anadolu dénombrait en outre plus de 1.100 blessés.

Recep Tayyip Erdogan a de son côté exhorté les Turcs sur Twitter à rester dans les rues : « Nous devons continuer à être maîtres des rues (…) car une nouvelle flambée est toujours possible », a-t-il déclaré. Cet appel semble indiquer que le président turc entend profiter de la situation créée par le putsch avorté pour renforcer son pouvoir. Politiquement, les conséquences de ce coup d’Etat pourraient bien être un renforcement du pouvoir de M.Erdogan et de l’AKP sur le pays.

C’est peu avant minuit (heure locale) qu’un communiqué des « forces armées turques » avait annoncé la proclamation de la loi martiale et d’un couvre-feu dans tout le pays, après des déploiements de troupes notamment à Istanbul et dans la capitale Ankara. Mais M. Erdogan a répliqué en appelant depuis Marmaris (ouest) la population à s’opposer au putsch, dans une intervention en direct à la télévision depuis un téléphone portable.

LIRE> Tentative de coup d’Etat en Turquie

Des dizaines de milliers de personnes, brandissant souvent des drapeaux turcs, ont alors bravé les militaires rebelles, grimpant sur les chars déployés dans les rues ou se rendant à l’aéroport d’Istanbul pour accueillir M. Erdogan, rentré précipitamment de vacances dans la mégalopole dont il fut longtemps maire et qui est son fief.

« Ceux qui sont descendus avec des chars seront capturés », a déclaré M.Erdogan à son arrivée à l’aéroport d’Istanbul en début de matinée, dénonçant une « trahison » devant une foule compacte de sympathisants, auxquels il a promis une répression sévère. M. Erdogan, qui a indiqué que l’hôtel où il se trouvait en vacances avait été bombardé après son départ, a accusé les putschistes d’être liés à son ennemi juré l’imam Fethullah Gülen, un ancien allié exilé depuis des années aux Etats-Unis. Ce dernier, a réfuté « catégoriquement ces accusations » dans un communiqué :

J’ai souffert de plusieurs coups d’État militaires au cours des 50 dernières années et trouve donc particulièrement insultant d’être accusé d’avoir un quelconque lien avec cette tentative.

C’est pourtant bien vers ses partisans que la répression semble s’orienter. Le général Dündar a promis « de nettoyer l’armée des membres de structures parallèles », dans une référence évidente aux fidèles de Fethullah Gülen. Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Erdogan, la hiérarchie militaire a été purgée à plusieurs reprises. L’armée de ce pays clé de l’Otan, qui compte 80 millions d’habitants, a déjà mené trois coups d’Etat (1960, 1971, 1980) et forcé un gouvernement d’inspiration islamiste à quitter sans effusion de sang le pouvoir en 1997.

Le Premier ministre Binali Yildirim, qui s’exprimait devant la presse à Ankara peu après 13h (heure locale), a indiqué que 2.839 militaires avaient été arrêtés en lien avec cette tentative qu’il a qualifiée de « tache » sur la démocratie turque. « Ces lâches écoperont de la peine qu’il méritent », a martelé le chef du gouvernement qui a réévalué le bilan à 161 morts, sans compter les putschistes, et 1.440 blessés.

Monde
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