Victoria, vainqueur par chaos

Sur fond de dépression, Justine Triet signe Victoria, une comédie brillante en portant quelques valeurs humanistes au bout de situations cocasses.

Jean-Claude Renard  • 14 septembre 2016 abonné·es
Victoria, vainqueur par chaos
© Photo : Ecce Films.

« J’aimerais comprendre là où ça a commencé chimiquement à merder dans ma vie… » Mère célibataire de petites jumelles, avocate pénaliste, Victoria -(Virginie Efira) fait bien de se poser la question ; elle n’est pas à l’abri d’un revers, ni des hasards retors. Ils vont s’accumuler, dégringoler dru. Un ami (Melvil Poupaud) accusé d’une tentative d’homicide sur sa femme, qu’elle se voit contrainte à défendre, un jeune homme (Vincent Lacoste), ancien dealer, engagé au pair, assistant et homme de l’ombre de plus en plus prégnant, un ex (Laurent Poitrenaux) qui se pique de littérature et ne fait que révéler sur un blog minable la vie affective et professionnelle qu’elle lui a confiée.

Tombe la dépression, naturelle mais insidieuse, qui pourrait être le moteur principal du film si la réalisatrice n’avait pas opté pour une mise en scène de situations flirtant avec le -tragicomique et le cocasse quotidien d’un personnage principal nourri au Lexomil, tirant sur la clope, alignant des gus perchés recrutés sur Internet, et confronté à la comparution d’un chien au tribunal comme témoin oculaire (scène hilarante).

Sans s’éloigner radicalement de son précédent film, sorti en 2013, La Bataille de Solférino (une femme célibataire, avec deux enfants, empêtrée dans les tringles de la vie professionnelle et sentimentale, sur fond de présidentielle), Justine Triet livre là un film original.

Un film porté d’abord par un scénario et un texte au cordeau, dynamique, imparable, par des comédiens remarquables de justesse et des personnages sitôt campés, souvent déjantés, des circonstances foutraques mais qui ne cèdent jamais à la caricature. Sachant aussi filmer les corps, le rapprochement ou l’éloignement dans l’enlacement (il est vrai que celui de Virginie Efira, au reste éblouissante, multipliant les registres, de la pétasse blonde à la femme déchirée, avec ses formes généreuses, aide beaucoup !). Non sans rappeler les tonalités des films de George Cukor ou la folie d’Arsenic et vieilles dentelles, Victoria est moins un film sur la dépression qu’une comédie « désespérée sur la vie chaotique d’une femme contemporaine », de l’aveu de sa scénariste et réalisatrice. Mais pas seulement.

C’est un film contre l’égoïsme, l’individualisme, la compétitivité, le voyeurisme. Un film également sur la création, ou comment raconter une histoire, non seulement parce que le scénario joue sur l’inventivité, l’enchevêtrement des situations, mais aussi à travers le personnage de ce plumitif en mal d’inspiration, pillard, et puisant dans la vie de son ex-compagne la matière d’une pitoyable autofiction, recourant au « Madame Bovary, c’est moi » pour sauver sa « littérature », quand Victoria elle-même réinvente sa vie, au bout de la dépression.

Victoria, de Justine Triet, 1 h 37.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes