Merci, Guy Sorman

Le mec écrit des choses qui se font désormais si rares que leur lecture fait en effet une courte liesse.

Sébastien Fontenelle  • 5 octobre 2016 abonné·es
Merci, Guy Sorman
© Guy Sorman, essayiste (photo prise en 2006).Photo : DAMIEN MEYER / AFP.

On vit des fois des moments un peu étonnants. Là, par exemple, j’ai sous les yeux une tribune de l’essayiste ultralibéral Guy Sorman, parue dans Le Monde d’avant-hier. Et tu sais quoi ? Je la trouve vachement bien.

Te récrie pas : le mec écrit là, très directement, très simplement, des choses qui étaient naguère de l’ordre de l’évidence, mais qui se font désormais si rares que leur lecture fait en effet une courte liesse – quand bien même elles sont énoncées par quelqu’un dont nous savons par ailleurs, dans les matières économiques, l’enfièvrement reaganien. Genre : « La fièvre identitaire qui saisit le débat politique est une horreur, le masque du racisme et de la xénophobie. » Ou : « Les intellectuels et assimilés les plus bruyants aujourd’hui anoblissent le discours identitaire, ce qui demain autorisera les rafles et les expulsions. » Puis encore : « Le laïcisme qui exclut est le contraire de la laïcité qui inclut. La laïcité authentique autorise chacun à suivre sa coutume aussi longtemps qu’il respecte les lois de la République. Mais le laïcisme, dégénérescence de la laïcité, est une idéologie d’exclusion qui prétend dicter les normes de la vie privée, habillement, mœurs, alimentation : un terrorisme identitaire drapé dans un discours républicain. »

À vrai dire : mon enthousiasme pour cette si réconfortante adresse s’explique aussi par le fait qu’elle est publiée [^1] juste en dessous d’un pensum dont la vérité oblige à dire qu’il n’est, de son pathétique début à sa burlesque fin, qu’un long tissu de conneries, puisque son auteur – un certain Matthieu Amiech – le fonde, pour l’essentiel, dans le tracé d’un signe d’égalité entre, d’une part, les « “républicains fervents et martiaux” qui rejouent ad nauseam la patrie en danger (Valmy, 1792) et l’appel du général de Gaulle (Londres, 1940), autour entre autres du magazine d’Élisabeth Lévy où Alain Finkielkraut tient une chronique, Causeur » et, d’autre part, ceux qu’il appelle, dans une désignation dont il ne semble pas même avoir conscience qu’elle frôle d’assez près la nauséabonderie droitière, les « amis des musulmans », type « Edwy Plenel », qui, selon lui, « font de la lutte contre l’islamophobie le refuge de l’esprit frondeur et le point de ralliement pour la critique du capitalisme ».

Comme tu constates, il y aurait beaucoup – vraiment beaucoup – à redire à ces seuls deux petits extraits de la consternante dissertation d’Amiech. Las : ici la place manque. (Et manquera aussi longtemps qu’en dépit d’une vigoureuse campagne de presse internationale qui dure depuis maintenant trois siècles je n’obtiendrai pas pour cette chronique un putain de troisième feuillet.) Mais tout de même : observons que la presse dite « de référence » se montrait jadis moins empressée de publier des péroraisons où des antiracistes essuient les mêmes opprobres que les « bruyants » publicistes qui battent leur beurre médiatique dans des barattes identitaires.

[^1] Dans le cadre d’une double page consacrée, dixit Le Monde, aux « intellectuels qui veulent sortir du piège identitaire ».

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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