« Ta’Ang », de Wang Bing : Des femmes et des enfants d’abord

Dans Ta’Ang, Wang Bing suit des réfugiés birmans qui, fuyant la guerre, franchissent la frontière chinoise. Entre désarroi et dénuement.

Christophe Kantcheff  • 26 octobre 2016 abonné·es
« Ta’Ang », de Wang Bing : Des femmes et des enfants d’abord
© Photo : DR

Peu connu, un conflit oppose en Birmanie, depuis le début de l’année 2015, les forces gouvernementales à des rebelles issus d’ethnies minoritaires. Ces combats se déroulent au nord du pays, près de la frontière chinoise, que franchissent nombre d’habitants des villes et des campagnes sous le feu de la guerre. Ce sont ces réfugiés que Wang Bing a suivis dans Ta’Ang, sous-titré Un peuple en exil, entre Chine et Birmanie.

Le réalisateur d’À l’ouest des rails (2003) et des Trois Sœurs du Yunnan (2012), film tourné dans cette même province contiguë à la Birmanie, a pratiqué, comme à son habitude, un cinéma d’immersion – mais avec cette particularité que ceux qu’ils filment se sentent en danger. Quand ils ne refusaient pas la caméra, ils demandaient souvent que les images soient prises la nuit. D’où la force plastique du film, non seulement majoritairement nocturne mais pictural, à la manière d’un Georges de La Tour, avec cette lumière rouge orangé qui enveloppe les réfugiés regroupés autour d’un foyer dans les camps. Ta’Ang n’est pas une œuvre esthétisante, mais cet éclairage évoque bien la condition des réfugiés : à la lisière du visible et de l’invisible, susceptibles à tout moment d’être rejetés dans l’ombre.

Wang Bing a choisi de filmer avant tout des femmes. Ce sont elles qui sont parties les premières, emmenant les enfants pour les maintenir en vie. Les hommes, pour beaucoup, sont restés sur place à garder les maisons et veiller sur les plus âgés. Les téléphones portables, rares et précieux, servent à garder un fragile contact, et chaque communication est source d’émotions.

La plupart des réfugiés sont partis de façon dispersée, fuyant leur lieu d’habitation dans le désordre et la panique. On voit des femmes dans les champs de cannes à sucre, employées en tant que travailleuses immigrées, sans savoir si elles seront payées. Le soir, elles parlent de leur périple risqué pour arriver jusqu’ici, tombant de fatigue. Déplacées, angoissées, elles doivent aussi répondre aux exigences du quotidien : les enfants qu’il faut nourrir et surveiller, les affaires, réduites au minimum mais encore encombrantes, qu’il faut transporter.

La dernière séquence se passe en plein jour, avec les membres de quelques familles venant de quitter précipitamment leurs maisons. La bataille fait rage de l’autre côté des montagnes, où retentissent les bruits de tirs au mortier. L’incertitude et le désarroi dominent. Hormis quelques vaches qu’ils ont réussi à prendre avec eux, ils n’ont rien. Le soleil décline, ils trouvent un abri de fortune pour la nuit, ouvert aux quatre vents. Leur existence de réfugiés commence. Elle va ressembler à celle de tous ceux qui, aujourd’hui, doivent partir de chez eux : une vie de total dénuement.

Ta’Ang, Wang Bing, 2 h 27.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes