« Tropique de la violence », de Nathacha Appanah : L’île maudite

Avec Tropique de la violence, la romancière mauricienne Nathacha Appanah s’éloigne de son pays pour dire le triste sort de la jeunesse de Mayotte.

Anaïs Heluin  • 5 octobre 2016 abonné·es
« Tropique de la violence », de Nathacha Appanah : L’île maudite
© Ulf Andersen/Aurimages/AFP

Comme tous les romans de Nathacha Appanah, Tropique de la violence commence après l’amour. Dans la solitude et l’enfermement. Jeune infirmière, Marie a quitté ses montagnes natales et leur ennui pour aller vivre sur l’île de Mayotte avec son collègue Chamsidine, « “Cham” pour les intimes ». En quelques années, l’idylle vire au cauchemar. Non que Cham perde son enfant, comme dans le célèbre épisode biblique : sans doute stérile, Marie est incapable de lui offrir la progéniture dont tous deux rêvaient.

La malédiction est en marche. En quelques pages à la langue aussi aride que la réalité de Mayotte, dont nous parviennent déjà de tristes bribes, une Marie d’outre-tombe résume cette histoire avant de passer à autre chose. Chez Nathacha Appanah, la fin de la passion amoureuse est le symptôme d’une quête irrésolue des origines et de la misère insulaire.

Depuis Les Rochers de poudre d’or (2003), son -premier roman consacré à l’histoire des travailleurs indiens venus à Maurice remplacer les esclaves libérés au XIXe siècle, jusqu’à En attendant demain (2015), publié après sept ans de silence, la romancière mauricienne, installée en France, creuse la tragédie de son île natale. Sa pauvreté et sa dépendance envers le tourisme occidental, décrit avec une belle et déchirante nostalgie dans Blue Bay Palace (2004). Le monologue d’une jeune Mauricienne devenue folle et meurtrière lorsque son amant – un Brahmane, fils de directeur d’hôtel – l’a quittée. Dans Tropique de la violence, Mayotte permet à la romancière d’entrer en terres connues par un chemin nouveau. Et de faire écho à d’autres drames contemporains.

À travers une suite de courts récits à la première personne, ce texte dessine les contours d’une violence insulaire d’autant plus cruelle que ses principaux personnages et victimes sont des enfants. Lesquels vivent dans la drogue et le vol la tristesse que les adultes logent dans leurs amours déçus. On retrouve dans la relation entre Marie et le jeune Moïse la filiation problématique qui traverse l’œuvre de Nathacha Appanah. Recueilli par l’infirmière, le garçon arrivé à l’hôpital en « kwassa sanitaire » – nom des embarcations de ceux qui viennent se réfugier à Mayotte, territoire français – ne connaîtra jamais sa mère.

Le français parfait de ce gamin nourri aux céréales et à L’Enfant et la Rivière,d’Henri Bosco, côtoie la langue âpre à la syntaxe bousculée des gosses du quartier défavorisé, surnommé « Gaza », qu’il se met à fréquenter lorsque Marie décède brutalement.

Les voix d’un policier humaniste, du chef de Gaza tué par Moïse et d’un jeune métropolitain en mission humanitaire complètent l’éventail social et langagier déployé par Nathacha Appanah. Une polyphonie aux accents rudes mais jamais dénuée d’espoir, et un roman poignant.

Tropique de la violence, Nathacha Appanah, Gallimard, 175 p., 17,50 euros.

Littérature
Temps de lecture : 3 minutes