Ariane Mnouchkine : Rire des folies modernes

La troupe du Soleil présente Une chambre en Inde. Ariane Mnouchkine relate cette aventure qui puise à une tradition populaire indienne.

Gilles Costaz  • 2 novembre 2016 abonné·es
Ariane Mnouchkine : Rire des folies modernes
© Photo : FABIO MOTTA/ESTADAO CONTEUDO/AFP

À la cartoucherie de Vincennes, le Théâtre du Soleil a de fausses périodes de sommeil. À peine un spectacle terminé (le précédent était un très beau Macbeth en 2014), Ariane Mnouchkine prépare le projet suivant, tout en vivant à l’échelle du monde. L’Inde reste le pays étranger pour lequel elle a le plus d’affection. Il est au centre du nouveau spectacle, et elle a récemment créé une antenne de son École nomade (un enseignement d’art dramatique qui utilise beaucoup les techniques de la commedia dell’arte) à Pondichéry – tout comme à Santiago du Chili, à Faro et à Oxford.

La pièce qui commence cette semaine, Une chambre en Inde, entend représenter le monde entier dans cette chambre indiquée dans le titre, lieu à la fois unique et multiple, lieu de tous les mouvements et de toutes les paroles. Mais il n’empêche que l’on est de nouveau en Inde et que, cette fois, l’équipe s’inspire d’une forme de théâtre populaire qui nous est à peu près inconnue, le Theru Koothu, que la troupe est allée voir de près dans l’État du Tamil Nadu, dans l’Inde du Sud : c’est un art qui se déploie pendant toute une nuit dans les villages et qui conte les grandes épopées de là-bas, Le Mahâbhârata et Le Ramayana.

La transposition de ce style est mise au service d’un spectacle majoritairement comique. Le Soleil veut, dans cette nouvelle étape, rire des folies des sociétés modernes et de nous-mêmes, laisse entendre Ariane Mnouchkine, qui s’est de nouveau entourée d’Hélène Cixous, qui a participé au texte élaboré par toute la troupe, et du musicien Jean-Jacques Lemêtre.

Votre troupe se renouvelle sans cesse. Où en êtes-vous ?

Ariane Mnouchkine : La plupart des acteurs sont là depuis dix ans, parfois trente ! La troupe est très cosmopolite, elle est le reflet de la population citadine française. Dans ce spectacle, il y a l’équipe afghane qui jouait La Ronde de nuit sous la direction d’Hélène Cinque. Mais la francophonie est indispensable. Je disais tout à l’heure à l’une des personnes qui nous a rejoints : « Si tu veux être une femme libre, il faut que tu parles français. » Les gens qui fuient leur pays et sont avec nous ont l’amour de la culture française et deviennent français. Notre histoire passe par l’arrivée de vagues de réfugiés. Cela a débuté avec la venue d’Argentins au moment de la dictature.

Cette Chambre en Inde est une nouvelle étape du Soleil, mais avec le désir de continuer ensuite ou de prendre vos distances ?

J’ai 77 ans. Je peux dire que c’est un de mes derniers spectacles. Mais je n’aime pas voir les choses sous cet angle. Je ne me pose pas cette question. Ou bien je me la pose depuis plusieurs spectacles. Qu’est-ce que le théâtre en 2016, face à tout ce qui se passe ? C’est ce qui nous pousse à continuer et à agir. Au moment où nous parlons, je suis sensible au fait qu’Angela Merkel, que je n’estime pas particulièrement, soit allée en Éthiopie pour voir si l’on peut aider les Éthiopiens à rentrer dans leur très beau pays. On peut penser qu’elle a cinquante ans de retard, mais elle l’a fait. Ceux qui vouent les hommes politiques aux gémonies ne se coltinent pas ça. La grande question est de transformer l’opinion en savoir.

Cela peut-il être une mission du théâtre ?

Non, ce n’est pas le but du théâtre. Mais tout doit contribuer à aider les gens à penser librement, à les amener à une conviction, à un acte, à une participation.

Le thème du nouveau spectacle est, semble-t-il, la recherche d’un sujet pour une troupe qui n’en a pas. Il s’agit donc d’une comédie, conçue une nouvelle fois de façon collective…

C’est une troupe abandonnée par son metteur en scène ! Oui, nous cherchons à être drôles, sans cynisme. Nous avons travaillé pendant six mois et demi à partir d’improvisations, avec le concours d’Hélène Cixous.

Vous vous référez à présent à une forme de théâtre indien peu connue, le Theru Koothu. C’est un art que vous avez découvert récemment ?

Un artiste de ce langage était venu nous en donner une représentation au Soleil il y a longtemps. Vingt-deux ans après, j’ai vu d’autres spectacles à Pondichéry. C’est d’une telle vitalité, d’une telle puissance comique ! Cela a bousculé mon trajet. Le chemin que j’avais parcouru auparavant reste important, mais le travail a totalement changé. Je suis retournée là-bas et j’ai voulu que la troupe vienne tout entière. Les villages économisent pendant deux, trois, cinq ans pour inviter ces équipes de Theru Koothu, qui viennent jouer pendant plusieurs nuits.

Toute la troupe du Soleil est donc partie en Inde ?

Plusieurs activités ont rendu ce voyage possible. Nous avions là-bas ce que nous appelons notre École nomade. Divers services officiels nous ont aidés, et toute la troupe est venue, en effet. Soixante-dix personnes ! Cela s’était déjà produit quand, pour Tambours sur la digue, on avait permis aux comédiens d’aller dans un pays d’Asie de leur choix pour apprendre auprès des marionnettistes. Ce furent des voyages très fondateurs. Mais, pour l’Inde, tout le monde est venu : comédiens, techniciens, même notre veilleur de nuit et des gens de l’équipe qui n’avaient jamais pris l’avion.

Un maître qui enseigne dans un petit village, Kalaimamani Purisai Kannappa Sambandan Thambiran, est venu ensuite à Paris. Travailler cet art lié au chant et à la musique est un tour de force.

Éprouvez-vous parfois l’envie de faire un spectacle avec seulement deux ou trois acteurs ?

Non, jamais. Je ne l’ai jamais fait. J’aime l’équipe. Et l’épique !

Une chambre en Inde, Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ-de-Manœuvre, Paris, 01 43 74 24 08, à partir du 5 novembre.

Théâtre
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