Dub Inc : Vibrations de combat

Groupe phare du reggae français depuis dix-huit ans, Dub Inc est en tournée en France pour son sixième album, mêlant les influences et renouvelant son message de résistance.

Erwan Manac'h  • 2 novembre 2016 abonné·es
Dub Inc : Vibrations de combat
© Photo : Alexis Rieger

Sept musiciens aux influences hip-hop, raï, ragga, voire électro, deux chanteurs mêlant l’anglais, le français et le kabyle : Dub Inc réussit une synthèse subtile, au service d’un message vivifiant. Engagé, sans caricature.

On retrouve dans ce sixième album, So What, les ingrédients qui ont fait le succès du groupe : le duo formé par la voix rauque de Komlan et les envolées plus aiguës de Bouchkour, une grande variété d’un morceau à l’autre et des arrangements musicaux d’une belle cohérence. Mais le groupe évolue, avec des incursions en sonorités étrangères et des flash-back renvoyant aux origines du « ragga dance hall », à destination d’un public plus averti. Seule frustration : qu’il n’ait pas poussé encore plus loin ce mélange en invitant des artistes d’horizons plus éloignés.

Dub Inc poursuit donc sa route au rythme d’un album tous les trois ans. « On peut se permettre de prendre notre temps pour faire les choses bien », glisse Aurélien Zohou, alias Komlan. En l’occurrence, deux ans pour défendre le précédent album sur scène et une année pour plancher sur le nouveau. Le travail part des instrumentaux composés pendant les tournées par les musiciens. Ces « riddims », base musicale d’un morceau, sont repris par les deux chanteurs, qui reviennent en studio après avoir écrit des textes et imaginé des mélodies. « Tout le reste, on le fait collectivement, poursuit Komlan. Cela donne un ensemble très varié, car nous avons des personnalités très différentes. »

L’album So What est teinté d’une gravité particulière. Celle d’une année 2015, période d’écriture pour le groupe, marquée par les attentats. « Avec ce “et maintenant”, il s’agissait de poser la question de ce que nous voulons pour demain. Comment sortir de la peur et du repli sur soi pour avancer dans le partage ? », traduit Komlan. Et cela débouche sur un message contre le fanatisme et les relents de fascisme qui tenaillent la France : « En entendant leurs mots et tous leurs faux débats/J’aimerais voir disparaître/Tous les échos d’un temps où l’on marchait au pas/Que l’on voit renaître », chantent-ils dans le titre « So What », en duo avec le chanteur Naâman.

Le groupe phare de la scène reggae française entretient donc l’esprit de révolte, qu’il colporte dans les salles du monde entier depuis dix-huit ans. Le succès et les milliers de kilomètres parcourus par la bande de potes n’ont pas édulcoré le propos, au contraire. C’est l’autre bonne nouvelle de ce sixième album.

L’engagement que Dub Inc porte dans son ADN s’imprime jusque dans la façon dont est gérée leur carrière : une SARL a été créée, détenue à parts égales par les membres du groupe, qui se versent chacun le même salaire. Leur ascension rapide dans les années 2000, grâce à leurs performances sur scène et au succès du titre « Rude Boy », notamment, aurait pu leur valoir l’onction du « star-system ». Mais le groupe n’a pas suivi les majors qui lui ont, un temps, fait du gringue. « Nous avons tout fait nous-mêmes au début parce que c’était la seule façon de sortir un disque. Maintenant que nous sommes devenus bien plus gros, c’est devenu primordial », retrace Komlan.

Ils restent donc indépendants, ce qui leur laisse une totale liberté dans le travail artistique et jusque dans l’organisation des tournées. « On fait des choix qui ne nous rapportent pas forcément d’argent et nous en font même perdre, comme aller jouer dans des lieux autogérés italiens ou aux États-Unis. Mais cela a du sens », ajoute le chanteur. C’est comme cela qu’ils ont atterri à Beyrouth, sur invitation d’un fan qui organisait son premier concert. Ou dans les contrées brunes de la République serbe de Bosnie, où leurs hymnes au métissage semblaient un brin anachroniques.

En France, Dub Inc ne passe ni à la radio ni à la télévision, et subit le même désintérêt des médias que la plupart des artistes estampillés reggae. « Les médias sont élitistes, et le reggae est devenu une musique démodée, sauf pour quelques titres plutôt légers ou festifs, regrette Komlan_. Les morceaux engagés, plus dénonciateurs, ne les intéressent pas. C’est vrai également pour le rap. La musique est réduite à un divertissement, alors que nous sommes dans une période qui mériterait que les musiciens s’engagent. »_ Le succès du groupe en concert et dans les pays du sud de l’Europe tend à lui donner raison.

So What, Dub Inc. Tournée : 9 nov. à La Médoquine, Talence ; 10 nov. au Limoges Reggae Empire Festival ; 12 nov. au festival Les Z’éclectiques, Chemillé-Melay ; 26 nov. au Zénith, Paris ; voir les autres dates sur dub-inc.com

Musique
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