En Amérique latine, le mythe intact de Fidel Castro

Aujourd’hui encore, Castro est perçu comme celui qui a défendu le continent sud-américain contre les appétits impérialistes.

Françoise Escarpit  • 30 novembre 2016 abonné·es
En Amérique latine, le mythe intact de Fidel Castro
© Photo : YAMIL LAGE / STF / AFP

Aimé et adulé, détesté et haï, Fidel Castro suscite jusque dans sa mort les passions les plus diverses. À l’image de l’homme, tribun hors norme et politique visionnaire qui a incarné, à Cuba et au-delà, les aspirations de toute une région à un monde plus juste.

Très tôt, Fidel Castro va comprendre l’importance de la pensée de Bolivar, mort en 1830 alors que l’Amérique latine, à l’exception de Cuba, s’était défaite de la tutelle espagnole, et de celle de José Martí, mort au combat en 1895 pour l’indépendance de l’île. Il prend conscience que seuls un chemin et un destin communs sauveront l’Amérique latine – « Notre Amérique », comme disait José Martí – de la domination impérialiste. Dès 1948, alors étudiant en droit et membre de la Fédération étudiante universitaire, il propose la tenue, à Bogotá, d’un Congrès latino-américain étudiant, coïncidant avec une conférence de l’Organisation des États américains. Il y rencontrera Gaitán, le dirigeant de la gauche colombienne, à la veille de son assassinat. Le crime provoquera une insurrection populaire, connue comme le Bogotazo, qui ouvrira la voie à des décennies de violence en Colombie.

Devenu avocat et membre du Parti orthodoxe, Fidel Castro entre en lutte contre le dictateur Fulgencio Batista. Exilé au Mexique en 1955, il y prépare l’expédition du Granma, qui débarque à Cuba il y a exactement soixante ans, marquant le début de la guerre de libération. Les mois passés au Mexique lui permettront, outre sa rencontre avec Ernesto Che Guevara, de tisser des amitiés et des liens très forts avec la gauche mexicaine d’alors, notamment avec l’ancien président Lazaro Cardenas. Après le triomphe de la révolution, le Mexique sera le plus fidèle allié et avocat de Cuba dans les instances internationales, jusqu’à l’arrivée au pouvoir du Parti d’action nationale, en 2000.

En 1985, lors d’une conférence à La Havane, Fidel Castro alerte le monde sur une crise à venir de la dette extérieure de -l’Amérique latine, « une hypothèque éternelle, impossible à payer et à percevoir », un cancer « qui requiert une opération chirurgicale ». Selon lui, la solution n’était pas -seulement l’annulation de la dette, mais l’union des peuples des pays en développement pour faire face à l’impérialisme et à ses intérêts. Trente ans après ce discours, -l’Amérique latine et la Caraïbe ont avancé dans la création d’organisations pour l’intégration et la coopération. Ont vu le jour l’Union des nations de l’Amérique du Sud (Unasur), la Communauté des États latino-américains et caribéens (Celac), l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre -Amérique-Traité de commerce des peuples (Alba-TCP) et l’alliance énergétique de PetroCaribe, toutes destinées à renforcer le développement social, politique, économique et culturel de la région.

Au sein du Mouvement des non-alignés, créé en 1961 et dont il fut président à deux reprises, Castro se bat aussi pour cette union des peuples. À Cuba, il a dirigé une diplomatie qui, dans les années 1960 et 1970, a appuyé avec plus ou moins de succès les guérillas du Salvador, du Guatemala, du Nicaragua, de Colombie, du Venezuela, de Bolivie et d’Argentine, qui a aussi soutenu Salvador Allende au Chili, Daniel Ortega au Nicaragua, Hugo Chavez au Venezuela et, ces dernières années, a eu un rôle essentiel dans la signature d’un accord de paix entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc). Après l’implosion de l’URSS – dont Castro avait annoncé l’éventualité – et la crise qui a suivi, Cuba a également inventé des échanges de services et de biens entre de nombreux pays d’Amérique latine et de la Caraïbe.

Aujourd’hui encore, la victoire de la révolution cubaine en 1959 reste perçue par beaucoup de Latino-Américains comme leur victoire. Éternel caillou dans la chaussure des impérialistes, la Cuba de Fidel sera toujours pour eux cette petite nation solidaire de ceux qui souffrent, celle qui a lutté victorieusement pour sa souveraineté, résistant pendant plus de cinquante ans aux États-Unis, qui s’est hissée au premier plan en matière de santé et d’éducation, qui lutte contre le racisme, pour l’égalité des droits des femmes, qui a accueilli les victimes des dictatures et qui porte toujours leurs rêves et leurs espoirs d’un monde plus juste.

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