Goethe célèbre la femme

Avec une mise en scène tout en nuances et des acteurs remarquables, Jean-Pierre Vincent redonne à Iphigénie en Tauride sa pleine sensibilité.

Gilles Costaz  • 30 novembre 2016 abonné·es
Goethe célèbre la femme
© Photo : Raphaël Arnaud

La pièce Iphigénie en -Tauride, de Goethe, n’est pas souvent montée. Jean-Pierre Vincent est allé la sortir de son sommeil culturel et l’aborde avec son équipe habituelle : Bernard Chartreux, qui en a tiré un texte limpide et non dénué d’humour avec Eberhard Spreng, Jean-Paul Chambas, qui a créé un beau décor antique de mer, de marbre et d’arbres, et Patrice Cauchetier, dont les costumes superposent la Grèce d’avant J.-C. et l’époque romantique.

La tragédie peut ainsi renaître et ses messages nous toucher. D’ailleurs, il s’agit d’étrangers qui débarquent sur un rivage : la loi imposée par le roi, c’est de les placer immédiatement sur l’autel du sacrifice – presque la méthode de Viktor Orban ! – mais la -prêtresse n’obéit pas aux ordres. Elle ne saigne pas les arrivants. Elle s’appelle Iphigénie et elle a échappé à son propre sacrifice il y a des années, quand son père, Agamemnon, l’avait vouée à la mort. Heureusement qu’elle n’égorge pas les deux migrants qui ont foulé le sol de la Tauride (l’actuelle Crimée), car il s’agit de son frère Oreste et de son ami Pylade. Quand ils se seront reconnus, il leur faudra faire face à des nouvelles effroyables – ce qui s’est passé dans la famille, tous ces sanguinaires héritiers de -Tantale ! – et à l’intolérance du monde présent…

Goethe se coule dans la facture antique, même s’il développe de façon plus moderne les effets de surprise. Mais, ce qui est le plus heureux, c’est la transformation de la tragédie en une célébration de la femme : le pouvoir, ce sont les hommes, avec leur arrogance misogyne ; Iphigénie, c’est le parti pris contraire et le triomphe de la sensibilité.

Le spectacle réglé par Jean-Pierre Vincent enchante par son équilibre : pas d’excès, pas de raideur. Tout est en nuances. Cécile Garcia-Fogel est une remarquable Iphigénie, qui enrobe ses pensées dans la douceur et les fait tourner en elle-même jusqu’à ce que vienne le moment des vérités. Vincent Dissez est un Oreste déchiré, comme coupé en deux ; l’acteur est impressionnant par sa capacité à dessiner une violence qui n’est que douleur. Alain Rimoux confère au roi Thoas une crudité qu’on donne rarement à ce type de rôle, joué généralement de façon trop noble. Pierre-François Garel et Thierry Paret complètent la distribution dans la justesse d’un jeu plus en retrait.

Il y a, sans aucun doute, plus renversant que cette très élégante mise en forme d’un monument littéraire, mais, en tant que visite d’un patrimoine oublié, c’est admirablement fait et remet utilement à l’heure notre ignorance de certains classiques.

Iphigénie en Tauride, théâtre des Abbesses, Paris, 01 42 74 22 77. Jusqu’au 10 décembre.

Théâtre
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