Le sang du diable

Au MuCEM de Marseille, une déambulation visuelle, sonore et olfactive autour de l’histoire et des pratiques culturelles liées au café.

Soizic Bonvarlet  • 7 décembre 2016 abonné·es
Le sang du diable
© Gaston Bouzanquet, coll. Musée de la Camargue, PNR de Camargue. Num. David Huguenin

En préambule, à propos du café, il a fallu dissiper un malentendu. Souvent attribuée au monde musulman, la paternité du breuvage est rendue à l’Éthiopie. Le café, dont l’étymologie vient de l’arabe qahwah, « boisson stimulante », terme ayant originellement désigné le vin, fut introduit en Perse et dans l’Empire ottoman, berceau de sa commercialisation, au XVe siècle.

L’exposition présentée au MuCEM de Marseille insiste sur la dimension alors subversive du produit, « sang du diable » pour les courants rigoristes de l’islam. Réputation exacerbée lorsque les rituels soufis commencent à utiliser les vertus de la caféine lors de cérémonies extatiques. Une dimension qui, comme la boisson, est importée en Europe à la création des cafés, lieux d’ébullition politique et donc contestataire, notamment dans le Paris des XVIIIe et XIXe siècles.

Au détour d’un florilège de citations murales (dont certaines louangeuses de Balzac, qui aurait bu pas moins d’une cinquantaine de tasses de café par jour et y aurait succombé), on découvre celle de Montesquieu dans les Lettres persanes : « Si j’étais le souverain, je fermerais les cafés, car ceux qui fréquentent ces endroits s’y échauffent fâcheusement la cervelle. J’aimerais mieux les voir s’enivrer dans les cabarets. Au moins ne feraient-ils de mal qu’à eux-mêmes, tandis que l’ivresse que leur verse le café les rend dangereux pour l’avenir du pays. »

Parmi les premiers objets remarquables exposés, se distinguent une cafetière de sultan ottoman, quasi monumentale et datée du XIXe siècle, ou encore un majestueux pilon anatolien du début du XXe. Dans l’une des salles préliminaires, l’entretien vidéo d’une cafédomancienne initie le public aux mystères divinatoires du marc de café.

La muséographie distille en un savant équilibre des éléments pédagogiques et historiques parmi des œuvres d’artistes contemporains. Le parti pris chronologique nous amène assez vite à traverser l’Atlantique. Et pour cause : au XVIIe siècle, l’Europe coloniale souhaite ardemment tirer profit du commerce du café, concentré jusqu’alors autour de la mer Rouge. Une manne financière qui sera tout à la fois facteur d’indépendance économique et de traite massive, et qui fera du Brésil le premier producteur mondial de café, dernier pays de la région à abolir l’esclavage.

Particulièrement frappante est la Cafedral de l’artiste cubain Roberto Fabelo. À la pierre, dans ce temple revisité, se substitue une myriade de cafetières à l’italienne rafistolées, détentrices de centaines de routines individuelles. Le mot-valise « cafedral » est une contraction en espagnol de catedral (qui évoque en même temps la forme de l’œuvre et sûrement le culte exercé par la mixture brune en Amérique latine) et de cafetales, désignant les plantations de café.

On quitte l’hémisphère Sud pour les États-Unis, où le café est aussi devenu boisson nationale, à la faveur du fameux épisode du « Tea Party » de 1773, quand furent -passées par-dessus bord des cargaisons de thé dans le port de Boston. Les colons de la baie du Massachussetts avaient pris le parti de boycotter le thé importé d’Angleterre, dont la taxe était exorbitante, jusqu’à devenir le point de discorde symbolique entre la métropole et ses colonies. Le café remédia à cette pénurie volontaire, jusqu’à devenir la boisson to take away la plus répandue d’Amérique.

Dans la continuité de la visite, des écrans diffusent des scènes d’anthologie du cinéma, dont un extrait de l’énigmatique Coffee and Cigarettes, de Jim Jarmusch, ou encore Garçon !, de Claude Sautet, avec le virevoltant -Montand dans le rôle-titre du chef de rang de la brasserie Jacomet. On est ensuite invité à humer les nuances d’arôme entre l’arabica et le robusta.

Enfin, l’une des dernières salles est consacrée aux chiffres du café, denrée fétiche des multinationales et de la mondialisation, tout en étant le premier produit du commerce équitable, sans omettre d’évoquer le seuil de consommation qui, scientifiquement, est mortel pour l’homme, à savoir cent tasses en l’espace de quatre heures. Une donnée à ne pas négliger, au risque de finir comme Balzac.

Café in, MuCEM, Marseille IIe, jusqu’au 23 janvier.

Culture
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