L’industrie du charbon en déclin

Le nouveau président des États-Unis veut relancer la houille. Un défi qui laisse les analystes très sceptiques, alors que le coût des énergies renouvelables baisse rapidement partout dans le monde.

Patrick Piro  • 7 décembre 2016 abonné·es
L’industrie du charbon en déclin
© George Frey/Getty/AFP

« Avec nous au pouvoir, l’industrie du charbon va faire son grand retour », affirmait en mars dernier le candidat Donald Trump à Louisville (Kentucky), dans un État charbonnier acquis à son discours. Le nouveau président des États-Unis, s’il a adouci sa position très négationniste sur le dérèglement climatique depuis son élection, n’est pas revenu sur sa promesse de démanteler, dès son arrivée à la Maison Blanche, le plan énergie propre (CPP) d’Obama, qui, pénalisant les émissions de CO2, vise à -déclasser le charbon, la plus polluante des énergies fossiles [^1]. « Ces réglementations ridicules qui vous empêchent d’être compétitifs, nous allons en faire table rase », ajoutait-il deux mois plus tard à Charleston (Virginie-Occidentale) devant des mineurs aux emplois menacés. Entre 2008 et 2016, leur nombre est passé de 85 000 à 53 000 selon les chiffres officiels, et la part du charbon dans la production nationale d’électricité a chuté de 48 % à 33 %.

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Alors que les fragiles promesses de l’Accord de Paris sur le climat signé en 2015 sont encore bien loin de se traduire en actions concrètes, les déclarations pro-charbon de Trump ont provoqué des remous dans le monde. Le risque d’une régression énergétique planétaire ? Pas sûr.

Depuis quelques années, les stratégies de lutte climatique ciblent prioritairement le charbon, relativement bon marché et la plus abondante des énergies fossiles [^2]. Sa combustion est responsable de 45 % des émissions de CO2 humaines. L’an dernier, une étude de l’University College London a déterminé les conditions d’un scénario économiquement pragmatique pour limiter à 2 °C la hausse des températures planétaires : d’ici à 2050, il faudrait laisser une grande part des réserves fossiles dans le sous-sol : 30 % pour le pétrole, 50 % pour le gaz… et jusqu’à 80 % pour le charbon.

Si l’exploitation de la houille est encore loin d’appartenir au siècle dernier, des signaux tangibles suggèrent pourtant qu’elle est entrée dans une phase de déclin. En 2015, pour la première fois depuis près de deux décennies, la demande mondiale en charbon a diminué, relève l’Agence internationale de l’énergie (AIE), confirmant le coup d’arrêt de l’année précédente [^3].

Hollande a encore reculé

Dans le sillage de l’Accord de Paris, le président de la République avait annoncé, lors de la conférence environnementale d’avril dernier, l’adoption d’une taxe nationale sur la tonne de CO2 émise par les producteurs d’électricité. Ségolène Royal, la ministre de l’Écologie, toujours réticente à froisser les industriels, avait obtenu que seul le charbon soit touché, ce qui aurait accéléré la fermeture des quatre dernières centrales du secteur. Le gouvernement y a finalement renoncé, juste avant la COP 22, devant les menaces de la CGT – le charbon représenterait 5 000 emplois directs et indirects. La mesure a été renvoyée à l’échelon européen, veut rassurer le gouvernement. Mais imagine-t-on la Pologne ou l’Allemagne, pays charbonniers, soutenir un tel projet ? Le choix de l’instaurer unilatéralement en France visait justement à contourner ce type d’obstacle…

Cette énergie est surtout destinée (pour 70 %) à la production d’électricité dans des centrales thermiques, un secteur où elle domine les autres sources, avec 40 % du total. La bataille du charbon se concentre donc principalement sur le terrain des centrales électriques. À l’occasion du sommet climatique de Marrakech (COP 22), le Royaume-Uni a annoncé un ambitieux plan de sortie : la fermeture avant neuf ans de toutes ses centrales à charbon, qui produisent le tiers de son électricité et comptent pour 16 % de sa consommation finale d’énergie. Idem pour le Canada (18 % de l’électricité), à l’horizon 2030. L’Allemagne suit, quoique plus modestement. Le pays, qui veut fermer toutes ses centrales nucléaires d’ici à 2022, dépend à près de 45 % du charbon et du lignite (qui en est la plus polluante des variétés) pour son électricité. Berlin s’est engagé à en sortir après 2040.

Cependant, l’Union européenne et les États-Unis comptent pour moins de 20 % de la consommation du charbon, dont l’avenir mondial se décide désormais en Asie. Or, la Chine, qui absorbe la moitié de la production mondiale, a engagé une mutation sensible : selon l’AIE, la demande y a culminé en 2013, mettant un terme « abrupt » au « boom des années 2000 ». C’est l’effet d’une bonne volonté récente dans la lutte climatique, mais surtout la nécessité d’endiguer l’effarante pollution atmosphérique générée par les industries lourdes et les centrales électriques. Cette politique énergétique pourrait conduire à un recul de la part du charbon de 66 % à 45 % dans la consommation chinoise d’ici à 2040. En parallèle, les énergies vertes montent rapidement en puissance. Elles couvrent 12 % de la consommation. La Chine, qui a capté 36 % des investissements mondiaux dans les renouvelables en 2015 (qui ont atteint 286 milliards de dollars, un record), est actuellement le principal soutien de la très forte dynamique planétaire de ces filières.

Au point que la danse du charbon est désormais menée par l’Inde, deuxième consommateur mondial (75 % de son électricité en provient). En signant l’Accord de Paris, et tout en affichant de grandes ambitions dans les renouvelables, le pays avait prévenu que ses besoins en houille s’accroîtraient dans les prochaines années, afin de soutenir sa croissance économique. Mais la mutation énergétique de l’Inde pourrait s’accélérer. « Le solaire est désormais meilleur marché que les centrales à charbon modernes », se réjouissait le ministre de -l’Énergie, Piyush Goyal, en avril dernier.

Certes, les plans de retrait ou de décroissance du charbon restent globalement très insuffisants au regard de l’objectif climatique de maintenir le réchauffement en dessous de 2 °C. Cependant, la plupart des prospectivistes jugent la tendance résolument engagée. Les États-Unis, troisième consommateur au monde, peuvent-ils la contrarier ? L’élection de Trump a donné un coup de fouet aux valeurs boursières de grandes compagnies charbonnières très mal en point, comme Peabody. Mais pour combien de temps ? Bien peu d’analystes considèrent comme crédible la promesse d’un retournement de situation. L’administration états-unienne avait évalué, avant la présidentielle, que les mesures du CPP d’Obama n’induiraient qu’une diminution marginale de la consommation mondiale de charbon – de l’ordre de 5 % à l’horizon 2040. Le démantèlement du CPP s’annonce donc comme une mesure à visée essentiellement domestique.

Par ailleurs, Barack Obama, entravé par le Congrès, n’a eu finalement qu’une influence limitée dans la lutte climatique – le CPP date de 2016, et il est contesté en justice. Le recul du charbon états-unien s’explique par des réglementations « vertes » prises à l’échelle des États et par le désintérêt des investisseurs, mais surtout par la pression économique. Le gaz de schiste, meilleur marché, moins émetteur de gaz à effet de serre (et en surproduction), a connu un essor exceptionnel depuis dix ans. Spectaculaire aussi est la croissance du solaire et de l’éolien, de plus en plus concurrentiels et employant aujourd’hui près de 15 fois plus de travailleurs que le charbon.

Enfin, Trump veut-il « du charbon propre, beaucoup de charbon propre » ? Un effet de manche de plus : la technologie de capture et de stockage du CO2 émis par les cheminées des centrales, qui fait fantasmer les charbonniers, n’en est qu’au stade expérimental. Pas encore au point, elle coûte extrêmement cher et comporte des risques environnementaux probablement inacceptables.

[^1] À énergie produite égale, il émet plus de CO2 que le pétrole (35 %) et le gaz (72 %).

[^2] Les réserves connues couvriraient plus d’un siècle de consommation mondiale actuelle.

[^3] World Energy Outlook 2016, novembre 2016.

Écologie
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