Faucheurs de chaises : le procès de Jon Palais se retourne contre la BNP

2 000 militants se sont déplacés lundi dernier à Dax pour dénoncer l’évasion fiscale et l’impunité des banques qui y contribuent.

Patrick Piro  • 12 janvier 2017
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Faucheurs de chaises : le procès de Jon Palais se retourne contre la BNP
Devant le tribunal de Dax. Au centre, Jon Palais. ©Patrick PironDessins : ©Marc Large

« Voyez le déséquilibre : vous avez devant vous un militant non-violent, défenseur de l’intérêt général et qui gagne moins de 1 000 euros par mois, attaqué par BNP-Paribas, quatrième banque mondiale, une multinationale qui a réalisé 6,7 milliards d’euros de bénéfices en 2015, dont un tiers dans des paradis fiscaux — un vrai business model ! » Défenseuse de Jon Palais, la magistrate Eva Joly, qui plaide la cause sur le fond, s’en donne à cœur joie sur son terrain de prédilection : la lutte contre la corruption.

Lundi 9 janvier, le militant basque comparaissait au tribunal de Dax (Landes), poursuivi par la banque pour « vol en réunion » : Jon Palais a revendiqué dans une vidéo l’opération de « réquisition » de 14 chaises menée le 19 octobre 2015 par 25 militants dans l’agence parisienne Saint-Paul-Le Marais de BNP-Paribas. Le motif : dénoncer le rôle de la banque dans l’évasion fiscale de milliards d’euros. « On rendra les chaises quand les banques sortiront des paradis fiscaux », justifiaient les militants. « Il manque chaque année au budget de l’État français entre 60 et 80 milliards d’euros évaporés de la sorte », récapitule l’économiste Thomas Coutrot, d’Attac. « 15 fois le trou de la sécurité sociale ! », s’émeut une banderole.

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Première ville thermale de France, envahie par les curistes en été, Dax est investie ce jour de procès par 2 000 militants venus de tout le pays aux cris de « C’est pas les faucheurs qu’il faut juger, c’est l’évasion fiscale en bande organisée ! » Dans la matinée, une table ronde rassemble les candidats à la présidentielle Yannick Jadot (EELV), Charlotte Marchandise (la Primaire.org) et Philippe Poutou (NPA), avec Corinne Morel Darleux (pour Jean-Luc Mélenchon), Sandrine Charnoz (pour Benoît Hamon) et Pierre Larrouturou (Nouvelle donne).

« Tous les partis avaient été invités, ceux qui ont décliné auraient été bien gênés pour s’expliquer », relève Lucile Watrinet, spécialiste des questions d’évasion fiscale à l’association CCFD-Terre solidaire. Quant à la brochette d’orateurs, elle joue sur du velours — « nous sommes d’accord entre nous à 98 % », répète-t-on, et avec la plupart des propositions des associations : faire sauter le « verrou » de Bercy (le ministère des Finances est seul juge de l’opportunité d’une enquête judiciaire en matière fiscale), traîner les fraudeurs en justice, appliquer de vraies peines – la dispense accordée à Christine Lagarde dans l’affaire Tapie provoque des huées –, protéger les lanceurs d’alerte comme Jon Palais, obliger les multinationales à une transparence totale sur leurs activités dans tous les pays où elles opèrent, harmoniser l’impôt sur les bénéfices dans l’Union européenne pour éviter le dumping fiscal (via l’Irlande, par exemple), réformer le système bancaire et séparer (enfin) les activités de dépôt et d’affaires au sein des établissements, durcir les mesures anti-pantouflage (passage d’un service d’État à un poste dans le privé), plafonner les hauts revenus, etc.

Un pas de côté classique, au NPA : Philippe Poutou reste dubitatif, convaincu que ces mesures ne feraient pas grand mal au capitalisme, dont le démantèlement doit être l’axe stratégique de la bataille, explique-t-il en substance. Mais ils sont unanimes à reconnaître que la pression citoyenne est indispensable. C’est elle qui a porté sur le devant de la scène le scandale de l’évasion fiscale. Dans les couloirs bondés du Carreau des Halles de Dax, qui accueille les débats et interventions, le socialiste Gérard Filoche relate les félicitations décernées par Michel Sapin, ministre des Finances, à des journalistes pour leurs investigations sur les Panama papers :

Le monde à l’envers ! N’est-ce pas aux gouvernements de mener l’enquête sur ces évasions massives de fonds qui manquent à notre politique sociale ?

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Dans la salle d’audience, Caroline Joly, fille d’Eva, se lève après la plaidoirie du procureur de la République. « Le Parquet nous coupe l’herbe sous le pied ! », s’amuse l’avocate. Jean-Luc Puyo vient d’annoncer qu’il allait aller « plus loin que la défense » dans le premier volet de la demande de cette dernière – la reconnaissance d’irrégularités dans la convocation par officier de police judiciaire, dont notamment l’exigence de prélèvements biologiques (empreintes, ADN) :

Il n’est pas dans l’intérêt de la société qu’un individu soit poursuivi par une procédure viciée, j’en demande l’annulation.

Sur le fond, le procureur reconnaît « l’honnêteté » de Jon Palais, et estime, au chapitre de la plainte, que « l’emport » des chaises – « et je choisis mes mots » –, n’est pas constitutif d’un vol. Il demande la relaxe du prévenu. Le délibéré doit être prononcé le 23 janvier.

« Ce procès, il faudra très vite qu’il se tienne un jour avec les véritables délinquants. D’ores et déjà, la société civile rend ici même son verdict sur l’évasion fiscale », commente Jon Palais. Au Carreau des Halles, la foule répond depuis le matin. « Nous sommes tous des faucheurs de chaises ! » À la tribune, José Bové exhorte la mobilisation de Dax (1) à se prolonger. « Vous avez la capacité de donner l’élan à un mouvement qui peut imposer la lutte contre l’évasion fiscale au cœur du débat présidentiel. » Émue, Eva Joly livre le sentiment que son combat « engagé il y a 25 ans » devient « majoritaire et gagnable ».

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Tous les grands médias nationaux étaient présents à Dax, dont les moins spontanément enclins à répercuter des messages des militants. Alors que le soleil a été de la partie, Txetx Etcheverry, animateur de l’association Bizi, remercie la BNP, « pour avoir choisi le bon jour, le bon prévenu et le bon lieu ». Traduction de l’économiste Geneviève Azam : « Mais pour quelle raison nous offrent-ils l’occasion d’une telle tribune ? »

(1) organisée par Action non-violente COP21, Attac France, Bizi, Les Amis de la terre, et Solidaires finances publiques.

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