L’obscénité du sermonneur

L’égalité salariale aurait pour inévitable contrepartie un report de l’âge du départ en retraite.

Sébastien Fontenelle  • 18 janvier 2017 abonné·es

L’autre jour, l’éditocrate Christophe Barbier, dont les compétences dans les matières économiques sont fameuses [^1], a produit [^2] ce mirobolant raisonnement : « Il faut l’égalité salariale hommes-femmes. » Sauf que : « Si on l’établit brutalement, le surcoût oblige les entreprises à licencier. » Car, certes : « Les cotisations prélevées sur des salaires élevés permettent de faire partir à 60 ans dès aujourd’hui des femmes avec de petites retraites parce qu’elles ont eu de petits salaires pendant leur carrière [^3] ». Mais : « Quand les femmes mieux payées arrivent à 60 ans et partent, comment les actifs et les actives payent leurs retraites, plus confortables car calculées sur une base plus élevée ? » Réponse : « Augmentons les salaires des femmes, mais ne mettons plus la retraite à 60 ans ! »

L’éditocrate Christophe Barbier suggère donc – après avoir aimablement concédé qu’elle était sans doute souhaitable dans la France de 2017 – que l’égalité salariale entre les femmes et les hommes aurait pour inévitable contrepartie un nouveau report de l’âge légal du départ à la retraite [^4], qui serait, selon sa démonstration, l’unique moyen de financer cette élémentaire mise à niveau [^5].

Bien sûr, l’éditocrate Christophe Barbier sait pertinemment qu’il est, en réalité, tout à fait possible d’imaginer, pour cette normalisation, d’autres moyens de financement infiniment moins coûteux pour les salarié(e)s. Plutôt que de « licencier », par exemple, nombre d’entreprises pourraient limer le montant des dividendes qu’elles versent tous les ans à leurs actionnaires. Ou l’État pourrait décider (enfin) de réduire le nombre des milliards d’euros qu’il déverse régulièrement dans la tirelire du patronat – contre la promesse, jamais tenue, qu’icelui les affectera à la création d’emplois. Ou encore, l’État, derechef, pourrait faire le choix de taxer plus lourdement le capital.

Mais, évidemment, de telles mesures mécontenteraient les possédant(e)s, qui n’aiment rien tant, comme on sait, que de (privatiser leurs bénéfices et) mutualiser leurs dépenses. Et, de cela, l’éditocrate Christophe Barbier, fidèle ami des nanti(e)s, ne veut pas.

C’est pourquoi ce fidèle rhapsode néolibéral préfère chanter que le salariat devra faire (encore) un tri parmi ses acquis, et choisir cette fois-ci entre l’égalité et la santé : la seule (relative) nouveauté, dans cette prédication, est que le sermonneur y mélange son coutumier boniment de beaucoup de volumes d’obscénité lorsqu’il prétend le faire passer pour une ingénieuse contribution au combat pour plus de justice.

[^1] Il a notamment été directeur de la rédaction de l’hebdomadaire L’Express entre 2006 et 2016. Dans ce laps de temps, cette publication, pourtant gavée d’aides publiques, a cumulé, selon Les Échos, un déficit de 86 millions d’euros.

[^2] Sous la forme d’une courte série de tweets.

[^3] Ne se grandirait-on pas à rappeler plus souvent que c’est grâce à l’esprit de solidarité des riches que d’humbles lavandières coulent aujourd’hui des retraites paisibles ?

[^4] Qui est actuellement fixé, en France, pour la plupart des régimes, à 62 ans – et non à 60 ans, comme le prétend ici notre fieffé rabatteur.

[^5] Et qui se trouve être, par une heureuse coïncidence, l’un des plus constants fantasmes des patrons et de leurs droites (P« S » compris) d’accompagnement.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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