La démocratie en échec(s)

La Position du pion met en scène un groupe d’ex-militants communistes ayant abandonné leurs idéaux lors de la transition espagnole.

Anaïs Heluin  • 8 février 2017 abonné·es
La démocratie en échec(s)
© Photo : Itziar Guzmán/Tusquets Editores

Si Álexandro Urritia, Pablo Poveda et le narrateur Johnny ne sont pas tout à fait aussi fous que Monsieur B., avocat viennois du Joueur d’échecs de Stefan Zweig, on ne peut pas dire qu’ils soient sains d’esprit. Dans La Position du pion, personne n’est d’ailleurs très équilibré. Formant un groupe d’amis, les personnages du second roman traduit en français du romancier espagnol Rafaël Reig sont à l’image de la situation politique de l’Espagne de l’époque dite de « transition » démocratique. Celle qui débute après la mort de Franco en 1975 et débouche deux ans après sur la légalisation du Parti communiste.

Privé de la répression qui punissait ses actions, le groupe jadis militant se fond dans la bourgeoisie. Si bien qu’au début du récit, situé en 1979, la lutte contre la dictature n’est plus qu’un souvenir teinté de romantisme. Une source d’anecdotes régulièrement exhumées lors de soirées alcoolisées au C.S. Palmeras, le club social du lotissement El Tomillar, situé à quinze minutes du centre de Madrid. Ou encore chez Lola et Álexandro Urrutia, « le centre de gravité de ce groupe de “couples d’amis” », lors d’un repas rituellement conclu par une partie d’échecs entre Pablo et Álexandro.

Comme dans la célèbre nouvelle de l’écrivain autrichien, à laquelle le texte de Rafaël Reig fait forcément penser, le jeu de stratégie est alors associé à une situation politique difficile. À la fin d’un monde structuré par des idéaux et par une foi raisonnable dans la capacité de l’homme à s’y tenir à peu près.

Le jeu d’échecs apparaît de manière très concrète chez Rafaël Reig, sous la forme de plateaux sur lesquels on suit, de chapitre en chapitre, une partie disputée un soir de printemps 1979. Le jour de l’annonce du retour à El Tomillar de Luis Lumina, alias « Le Gros », ancien secrétaire de la cellule du Parti, disparu des années plus tôt dans des circonstances mystérieuses. S’ensuit une enquête menée par le narrateur, gros garçon malheureux de père inconnu, devenu auteur de romans de gare après avoir dû renoncer à faire carrière de sa passion pour les échecs.

On retrouve ici l’esprit du polar psychologique Ce qui n’est pas écrit [1], le précédent livre de Rafaël Reig. Nourri de jeu et de paralittérature, La Position du pion dit avec humour et intelligence la nécessité de régénérer la force critique de l’art par un frottement avec la culture populaire.

[1] Métailié, 2014.

La Position du pion, de Rafaël Reig, traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse, Métailié, 286 p., 20 euros.

Littérature
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