Le Conseil constitutionnel devra se prononcer sur la légalité du Ceta

Une centaine de députés de gauche estiment que l’accord de libre-échange Europe-Canada place les multinationales au-dessus des citoyens, des élus et des petites entreprises.

Erwan Manac'h  • 22 février 2017 abonné·es
Le Conseil constitutionnel devra se prononcer sur la légalité du Ceta
© Photo : Emmanuele Contini / NurPhoto

Cent quatre députés de gauche ont saisi mercredi le Conseil constitutionnel au sujet de l’accord de libre-échange entre l’Europe et le Canada, ratifié le 15 février par le Parlement européen. L’institution aura un mois pour juger de la compatibilité du traité avec la Constitution française.

Le « Ceta », qui prévoit une « harmonisation » des règles du commerce d’une rive à l’autre de l’Atlantique, doit entrer en application provisoire (à 90 %) à partir du mois d’avril, avant le vote des parlements nationaux. Mais de nombreuses ONG l’estiment inconciliable avec la Constitution française, pour trois raisons :

1 – Les citoyens passent après les multinationales

Le Ceta crée des « comités » et un « Forum de coopération réglementaire », composés de lobbyistes, pour faire converger les normes passées et futures entre l’Europe et le Canada. Le but : « faciliter les échanges » en supprimant tous les « obstacles injustifiés au commerce ».

Une coopération renforcée est, par exemple, organisée dans les biotechnologies (OGM, pesticides, etc.) « afin de réduire au minimum les répercussions commerciales négatives des pratiques réglementaires » (article 25).

Pour l’association Foodwatch, l’Institut Veblen et la Fondation Nicolas Hulot, ces mécanismes de coopération « créent de nouvelles contraintes par rapport à la fonction de “faire la loi” » et dessaisissent de leur pouvoir les élus nationaux.

2 – Les investisseurs ne sont plus égaux devant la loi

Le Ceta crée également des « cours arbitrales », chargées de trancher des litiges entre un investisseur et un État. Elles ne peuvent être saisies que par les multinationales, lorsqu’elles estiment que leurs intérêts sont compromis par une loi ou une réglementation nouvelle dans le pays où ils ont investi (grâce au Ceta).

Cela « introduit une inégalité devant la loi entre investisseurs nationaux et investisseurs étrangers », estiment trois experts en droit sollicités par les ONG, Dominique Rousseau, Évelyne Lagrange et Laurence Dubin. Ces tribunaux constituent selon eux une « voie de droit spéciale », qui permettrait aux investisseurs étrangers de « contourner » la justice nationale.

« Ils rompent avec le principe d’égalité notamment en mettant en place des juridictions d’exception pour les investisseurs étrangers », estime Denis Voisin de la Fondation Nicolas Hulot.

3 – Le « principe de précaution » n’est pas respecté

Selon l’analyse des ONG de défense de l’environnement, le Ceta est enfin incompatible avec le principe de précaution, inscrit dans la Constitution depuis février 2005. Le traité prévoit en effet que les règles du commerce doivent être « basées sur la science », mais ne fait pas mention du « principe de précaution » (qui prévaut théoriquement lorsque la science n’a pas établi l’innocuité d’un produit).

Les « notes interprétatives » qui accompagnent le traité et garantissent ce principe sont jugées non contraignantes par les ONG.

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Une saisine qui en appelle d’autres

La saisine a été déposée au Conseil constitutionnel ce mercredi par Danielle Auroi (EELV), Jean-Noël Carpentier (radicaux de gauche), Jean-Paul Chanteguet (PS), André Chassaigne (Front de gauche) et Suzanne Tallard (PS). Parmi les signataires figurent également des élus socialistes de sensibilités diverses, comme Delphine Batho, Valérie Rabault, Christian Paul, Jean-Marc Germain ou le soutien d’Emmanuel Macron Stéphane Travert, ainsi que l’ancienne ministre EELV Cécile Duflot.

« Ce recours inédit est d’autant plus important que le Ceta est un accord d’une ampleur inégalée et présenté par ses promoteurs comme un modèle pour les négociations futures », pointe Mathilde Dupré, de l’Institut Veblen.

Cette saisine n’est d’ailleurs qu’une étape parmi d’autres, pour ce traité largement combattu à gauche et critiqué par une partie de la droite. La Cour de justice de l’Union européenne pourrait à son tour être saisie, car la compatibilité de l’accord avec les traités européens est remise elle aussi en question. Le gouvernement fédéral belge a promis à la région Wallonie de saisir la Cour pour lever son blocage, en octobre, à la signature du traité. Mais elle tarde à joindre le geste à la parole.

La Cour constitutionnelle allemande a quant à elle été saisie en août 2016 par Foodwatch et plus de 120 000 citoyens. Si elle leur donne raison, le traité subirait un sérieux coup d’arrêt.

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