La taxe sur les transactions financières, un cas d’école

Les négociations s’enlisent au sujet d’un impôt pourtant indolore, plébiscité par les citoyens et techniquement au point. Un révélateur cruel de l’inertie de l’Union européenne.

Erwan Manac'h  • 22 mars 2017 abonné·es
La taxe sur les transactions financières, un cas d’école
© photo : Alain Pitton / AFP

Il faut reconnaître qu’il y a une forme d’épuisement », soupire Antonio Gambini, spécialiste de la taxe sur les transactions financières (TTF) pour l’ONG belge CNCD-11.11.11. C’est peu dire, en effet, que les négociations patinent à l’échelle européenne. Tout semble pourtant faire de cette taxe un parfait objet d’affichage pour les dirigeants européens. Elle est infime (0,1 % sur les actions et obligations et 0,01 % sur les produits dérivés) mais rapporterait 22 milliards d’euros annuels, selon une estimation de la Commission européenne. Ce qui fait tout de même 42 000 euros par minute. Elle est plébiscitée par l’opinion et existe déjà dans une version moindre en France, en Angleterre et dans trente-huit places boursières. « Les marchés financiers sont le seul secteur à être exemptés de TVA, il serait naturel de rattraper cette injustice », pointe également Antonio Gambini.

Mais les négociations, démarrées en 2011 après une décennie de débats, restent minées par le lobby bancaire, qui affiche une opposition de principe à tout impôt. Face au blocage de plusieurs États membres, les partisans de la TTF ont décidé en 2013 d’engager une méthode inédite : la « coopération renforcée », qui met une dizaine de pays autour de la table pour avancer vers un projet de réforme qui n’engagera pas les 27 pays membres [1]. Un compromis a été signé en octobre 2016, mais la réforme reste bloquée à l’ultime étape de la signature.

Désormais, c’est la Belgique – autrefois leader sur le sujet – qui parasite les discussions, en répétant les arguments parfois fallacieux du lobby bancaire. Son ministre des Finances, Johan Van Overtveldt, juge le projet de TTF « inacceptable ». Il siège pourtant à la coopération renforcée, étant tenu d’honorer l’accord de gouvernement qu’il a signé avec ses rivaux de droite, qui prévoit que la Belgique ait une action « constructive » pour la TTF. Il demande que les fonds de pension (qui boursicotent avec l’épargne retraite) soient exclus de la future taxe. Hors de question pour la France. Il s’inquiète également que des entreprises de l’économie réelle puissent être taxées lorsqu’elles font des placements en Bourse. Rien de plus normal lorsque cette spéculation atteint un niveau significatif (50 % du chiffre d’affaires), lui répondent les associations. Et il agite désormais le Brexit et la concurrence ouverte entre Paris, Francfort, Bruxelles et le Luxembourg pour récupérer les activités censées fuir la City, la Bourse de Londres. Tout est bon pour torpiller la proposition de taxe.

« La Belgique joue un jeu malsain et pervers. Elle reste à l’intérieur de la coopération renforcée pour pourrir les discussions, en agissant comme un cheval de Troie des marchés financiers », dénonce Alexandre Naulot, de l’ONG Oxfam. « Il faut dire que la Belgique fait partie des paradis fiscaux », observe Gunther Capelle-Blancard, économiste, professeur à Paris-I et spécialiste de la TTF.

Avec les réticences de la Slovaquie, qui épouse la ligne belge, l’unanimité est pour l’heure inatteignable. Il est également impossible de compter sur un départ de ces deux pays récalcitrants, car sans eux le nombre minimum de neuf pays signataires n’est pas atteint pour mettre en place la mesure, selon les règles de la coopération renforcée.

L’occasion aurait été belle, pour le 60e anniversaire du traité de Rome, le 25 mars, d’offrir la démonstration que la méthode de coopération renforcée est un outil efficace pour dépasser l’inertie du Conseil européen et de ses décisions à l’unanimité. C’est le souhait de la France, alors que François Hollande prêche pour une Europe à plusieurs vitesses. C’est aussi le message martelé par les ONG. « C’est tout à fait possible. Et ce ne serait pas anodin. La TTF pourrait servir de précédent pour aller vers une harmonisation fiscale », insiste Alexandre Naulot.

Charge à la France, donc, de taper du poing sur la table. « La voix de la France est entendue sur ces sujets, car elle a été un pays moteur depuis 2012 », note Gunther Capelle-Blancard. La France a en effet adopté en 2012 une taxe sur les actions portant sur 15 % à 25 % des transactions, qui rapporte moins d’un milliard d’euros par an, selon l’économiste. Son taux a été augmenté de moitié en décembre et elle a été étendue aux transactions hautement spéculatives dites « intra-day », comme le trading par ordinateur permettant d’acheter et de vendre des actions en quelques microsecondes ! Cette taxe serait une première mondiale, qui décuplerait les recettes (les transactions intra-day représentent entre 20 et 45 % du volume des transactions de la Bourse de Paris en 2014, selon l’ESMA, l’Autorité européenne des marchés financiers). « On changerait complètement de modèle », juge Gunther Capelle-Blancard. Mais l’application de cette loi est prévue pour 2018. Sur ce dossier, comme sur le projet de TTF à l’échelle européenne, le résultat des prochaines élections sera donc déterminant.

Les espoirs, là aussi, sont minces. Jean-Luc Mélenchon est le seul à faire clairement figurer la mesure à son programme. Benoît Hamon en fait une mention timide. La droite est farouchement contre. Et la position de l’ancien associé-gérant de la banque Rothschild, Emmanuel Macron, fait peu de doute.

À court terme, les spécialistes espèrent au mieux des déclarations fortes lors du sommet d’anniversaire du traité de Rome, ce samedi. Les ministres de l’Économie et des Finances se sont réunis en début de semaine pour une réunion, que l’entourage du commissaire européen Pierre Moscovici présentait, il y a peu, comme « la dernière ». À l’heure du bouclage de ce numéro, personne ne s’attendait à un miracle.

[1] En l’occurrence, la France, l’Allemagne, la Belgique, le Portugal, l’Autriche, la Slovénie, la Grèce, l’Espagne, l’Italie et la Slovaquie.

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Europe : Des visions convergentes
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