« On va vers une probable recomposition des droites »

Le politiste Joël Gombin analyse l’attitude de François Fillon au regard de l’histoire des droites françaises. Et s’interroge sur l’avenir du camp conservateur.

Olivier Doubre  • 8 mars 2017 abonné·es
« On va vers une probable recomposition des droites »
© Photo : GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Spécialiste du Front national (FN), Joël Gombin observe ici combien le contexte des affaires a amené François Fillon à durcir le positionnement politique qui avait été le sien pendant la primaire. Un positionnement aujourd’hui délibérément « national-populiste », conduisant, en cas d’échec pour accéder au second tour de la présidentielle, à une vaste reconfiguration du camp conservateur – dont une partie pourrait alors se jeter dans les bras du FN.

Quelle droite représente ou incarne aujourd’hui François Fillon ?

Joël Gombin : Il est toujours délicat de répondre à ce type de questions de taxonomie. Notamment parce que les catégories que l’on peut utiliser sont généralement plus rigides que ne l’est la réalité. En outre, je ne suis pas toujours convaincu par la fameuse typologie proposée jadis par René Rémond des trois droites – légitimiste, orléaniste et bonapartiste –, qui, je crois, fonctionnait plutôt bien pour le XIXe siècle ou jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, mais beaucoup moins bien par la suite. Néanmoins, je dirais que François Fillon, par rapport à la période Sarkozy marquée par une tentative (réussie) de reconquête d’un certain électorat populaire, représente une sorte de retour à l’orthodoxie en se recentrant sur une clientèle bourgeoise, notamment celle de la bourgeoisie économique. Le paradoxe aujourd’hui est que Fillon, durant la primaire, avait essayé de se débarrasser des éléments de bonapartisme présents dans l’entreprise sarkozyste, mais la situation dans laquelle le placent les affaires qui le visent actuellement l’accule à une attitude de national-populisme. Une attitude qui n’est pas sans rappeler celle d’une partie de la droite durant la IIIe République, notamment le phénomène boulangiste, mais qui au fond est un peu à contre-courant du positionnement que Fillon avait essayé de prendre durant la primaire.

Plus généralement, quel regard portez-vous sur l’état de la droite française aujourd’hui ?

Je suis frappé par le succès, rétrospectivement ou disons en illusion d’optique, de Nicolas Sarkozy ! Celui-ci est apparu comme le sauveur de droite en 2007, avec un élargissement de son électorat sur sa droite et vers une partie des groupes sociaux qui avaient basculé vers le FN. Mais cela ne pouvait fonctionner qu’une seule fois, et l’espace politique de la droite depuis s’est au contraire réduit, à la fois sur sa gauche car les relations avec les centristes sont devenues délicates – du fait précisément du positionnement politique adopté par Les Républicains –, et sur sa droite, puisque le sarkozysme a en même temps contribué à rouvrir un espace électoral à l’extrême droite, à relégitimer le FN. Aujourd’hui, l’affaire Fillon crée les conditions pour qu’il y ait une recomposition profonde des droites. On peut en effet imaginer que si François Fillon (ou un candidat par lequel il serait remplacé) ne se qualifie pas pour le second tour de l’élection présidentielle, cela provoque une implosion de la droite, entre ceux qui se rapprocheraient de Marine Le Pen et ceux qui s’en iraient vers Emmanuel Macron. On pourrait ainsi assister en 2017 à la clôture de ce cycle de dix ans ouvert par Sarkozy en 2007 (ou un peu avant) et qui, loin d’avoir renforcé la droite traditionnelle, aura conduit à sa reconfiguration profonde, sinon à sa disparition, en tout cas dans sa formule actuelle.

Justement, voyez-vous dès aujourd’hui certaines passerelles entre la droite et l’extrême droite ?

Je ne crois pas que la question se pose en termes de passerelles. Il en existe et il y en a eu dans le passé. Ce qui est plutôt frappant, c’est au contraire la faible ampleur des transferts entre les deux entités, en tout cas au niveau des dirigeants de premier plan. La question se pose finalement davantage en termes de réorganisation du champ partisan, en particulier si Les Républicains ne sont pas en capacité à être présents au second tour de l’élection présidentielle, puisque l’ex-UMP a été créée explicitement en 2002 pour assurer les conditions de la victoire face au FN. Si aujourd’hui cette capacité-là n’existe plus, alors même que toutes les conditions étaient réunies puisque, entre 2012 et 2017, la droite remporte toutes les élections intermédiaires, la question de l’existence de ce conglomérat politique va se reposer, avec un fort risque de désagrégation. Il ne s’agira plus alors de passerelles, mais bien d’une recomposition d’ampleur qui verrait sans doute des blocs entiers de la droite existante peut-être pas directement rejoindre le FN, mais se constituer en une nouvelle formation susceptible de faire coalition avec lui.

Lors de circonstances exceptionnelles, ou en tout cas en période de crise, une certaine droite a-t-elle tendance à verser dans des positions antirépublicaines ?

Historiquement, il est évident qu’il y a eu parfois des tentations putschistes à droite. Sans même remonter à la Seconde Guerre mondiale, le cas de la guerre d’Algérie l’a très bien montré. Mais je pense aussi que, depuis l’Algérie, ces tentations sont plutôt absentes au sein de la droite traditionnelle, ou « républicaine » (comme on la nomme habituellement), en tout cas gaulliste ou néo-gaulliste. Celle-ci s’est en fait construite aussi sur une forme de respect de la légalité ou de la République, contre les factieux de l’OAS.

Il me semble que ce à quoi on assiste actuellement relève plutôt d’une filiation nationale-populiste qui constitue l’une des dimensions, non pas seulement des droites françaises, mais plus largement de la vie politique française depuis les débuts de la IIIe République. Et ce national-populisme ne s’est pas construit contre la République, mais plutôt avec et dans celle-ci, en y exploitant à la fois certaines potentialités et certaines failles. Il s’agit d’une lecture particulière des principes républicains qui est retournée contre la République telle qu’elle est. Mais ce n’est pas anti-républicain dans le sens d’une volonté de changer de régime. En revanche, on peut y voir une autre tentation, qui traverse d’ailleurs une partie de presque toutes les droites européennes : celle de l’antilibéralisme politique, dans le sens du refus des contre-pouvoirs, des corps intermédiaires. Ces éléments, que l’on retrouve dans le discours de François Fillon ces dernières semaines, sont plutôt plus forts à l’est de l’Europe, comme en Pologne ou en Hongrie aujourd’hui, mais sont présents aussi chez Berlusconi ou dans un mouvement comme Ukip au Royaume-Uni, sans même parler de Trump. Évidemment, cet antilibéralisme politique n’est pas sans lien avec le national-populisme, parce que celui-ci est précisément un antilibéralisme.

Joël Gombin Chercheur et membre de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès. Dernier ouvrage paru : Le Front national, éd. Eyrolles, 2016.

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