Tennessee Williams en climat tropical

Dans un décor exubérant, Stéphane Braunschweig reprend _Soudain l’été dernier_, une pièce datée mais sublimée ici par l’interprétation de Marie Rémond.

Gilles Costaz  • 22 mars 2017 abonné·es
Tennessee Williams en climat tropical
© Thierry Depagne

Depuis pas mal d’années, le théâtre français essaie de retrouver les œuvres de Tennessee Williams dans leur intégrité grâce à des traductions et en oubliant les images fortes laissées par les films de Kazan, Mankiewicz, Houston… Novateur en son temps, Williams l’est-il encore aujourd’hui ? Non, car, s’il remplace le théâtre de préoccupations sociales d’un Arthur Miller par un autre de l’inconscient et de la frustration (avec des aveux douloureux sur son homosexualité), il construit ses affrontements sans grande invention formelle.

Après des metteurs en scène comme Brigitte Jaques-Wajeman, Philippe Adrien, Lee Breuer, Kryzsztof Warlikowski, c’est Stéphane Braunschweig qui affronte aujourd’hui la grande figure américaine. Il la relie aux grands auteurs nordiques, Ibsen surtout, dont il est un metteur en scène passionné et inspiré, sentant chez Williams une filiation dans sa manière de regarder les conflits sociaux et familiaux.

Stéphane Braunschweig monte à l’Odéon, dans la traduction de Jean-Michel Déprats et Marie-Claire Pasquier, Soudain l’été dernier. Que s’est-il passé l’été dernier ? Un jeune poète, partiellement le double de l’auteur, n’est pas rentré du voyage annuel qui l’éloignait de La Nouvelle-Orléans. Habituellement, il passait quelques jours de vacances avec sa mère. Cet été-là, il avait préféré la compagnie de sa cousine pour aller sur une plage espagnole. Et il est mort sur place. Seule la cousine connaît la vérité, mais elle peine à la révéler. Depuis son retour, son entourage s’acharne sur elle. Sa mère et sa tante voudraient qu’elle exprime ce qu’elles attendent, soit des versions opposées. Un neurologue est là, avec ses intraveineuses à portée de main. Il y a même une religieuse qui apporte la consolation de l’Église et surtout sa sévérité. Cette assemblée explosive et ce climat tropical devraient permettre à la vérité de se faire jour. Elle finira par naître, en effet. Le désir homosexuel et la violence d’une population affamée auront leur part dans la reconstitution des derniers jours du poète.

Braunschweig s’est offert un peu d’exotisme. On sait que ce metteur en scène dessine aussi les scénographies de ses spectacles. Là, il a conçu un jardin luxuriant, dévoré par une végétation exubérante, à l’opposé de ce que réalise d’habitude cet obsédé de la pureté des formes. Un énorme tronc d’arbre monte vers le ciel d’où descendent des centaines de lianes ; des fleurs très rouges et des feuillages très verts se dressent ici et là. Braunschweig a même le sentiment qu’il est allé quelque peu dans l’excès, car, en cours de soirée, il fait remonter dans les cintres une bonne partie des lianes, subitement aspirées par des machinistes invisibles !

Ne nous voilons pas la face : même avec des arbres gigantesques et des fleurs du rouge le plus éclatant, ce théâtre passe mal. Il a trop vieilli. Cousu à petits points progressifs où l’on voit arriver le climax comme un panneau sur une autoroute. On a beaucoup dit que c’était un théâtre d’acteurs, mais le rôle du psychiatre, par exemple, est à peine écrit. Son interprète, Jean-Baptiste Anoumon, se contente d’émettre, courageusement : « Dites-moi, que dites-vous, racontez-nous… » Rien que des pointillés ! Mais la mise en scène de Braunschweig va chercher sa force dans l’enchevêtrement des dialogues et des lieux. On se perd et on se retrouve dans cette forêt aventureuse, jusqu’à ce qu’on soit touché par ce qui est le plus secret : la sexualité du poète disparu, la vie parallèle des pauvres et des riches qui va jusqu’à l’explosion meurtrière.

Le metteur en scène a pris le risque de confier tous les rôles à des acteurs assez jeunes. Et il a bien fait, même si l’on peut être gêné par la sonorisation des voix. Luce Mouchel joue la mère du poète avec une belle autorité, d’une méchanceté joyeuse. Marie Rémond est, elle, le cœur palpitant de la soirée : dans le rôle de la jeune fille oppressée par sa famille, elle navigue d’un état d’âme à l’autre, donnant à l’espoir, à l’égarement et à la souffrance une égale évidence. Tennessee Wiliams ne disparaît pas totalement de notre horizon, car il savait donner de grands rôles aux victimes de la vie, comme la jeune femme de Soudain l’été dernier.

Soudain l’été dernier, Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris VIe. Tél. : 01 44 85 40 40, jusqu’au 14 avril. www.theatre- odeon.eu

Théâtre
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