Un trafic animalier et végétal de 15 milliards d’euros

Au-delà du rhinocéros de Thoiry, des éléphants, des orchidées, des oiseaux, des fauves continuent de disparaître, proies d’un commerce mondial illégal.

Claude-Marie Vadrot  • 8 mars 2017 abonné·es
Un trafic animalier et végétal de 15 milliards d’euros
© photo : MUSTAFA YALCIN / ANADOLU AGENCY / AFP

La mort mardi d’un rhinocéros de 5 ans au parc zoologique de Thoiry, tué pour scier sa corne, ne doit pas masquer un autre drame écologique : la disparition chaque année de 1 200 de ses congénères en Afrique du Sud tués par des braconniers. Sans oublier tous ceux qui sont massacrés dans les autres pays africains ainsi qu’en Asie. Avec un objectif identique : s’emparer de leurs cornes (certains en portent deux) car elles valent plus que de l’or pour les trafiquants, qui les réduisent ensuite en poudre. Car, pour des riches d’Asie et du Proche-Orient, cette poudre est réputée raviver la libido des mâles et contribuer à résister au vieillissement des hommes.

Les médecins et les pharmacologues ont démontré depuis longtemps que, quelle que soit la dose ingérée, les effets de cet amas de kératine et de poils compressés reposant sur une base osseuse sont nuls. Pourtant, la « promesse » demeure et elle a un prix : la poudre de corne de rhinocéros se vend entre 40 000 et 70 000 euros le kilogramme. Soit largement plus que de l’or ou de la cocaïne. De plus, en distribuer à ses invités est un marqueur social très prisé dans les milieux qui l’achètent.

Une défense vaut 80 000 euros

Comme les défenses d’éléphants, dont l’ivoire se vend en moyenne à 800 euros le kilo – ce qui fait monter le prix moyen d’une défense à au moins 80 000 euros –, ce commerce de poudre de corne de rhinocéros engendre un trafic international qui rapporte énormément sans que les trafiquants prennent de gros risques. Car, malgré les législations nationales et les interdictions édictées par la Cites (Convention internationale sur le commerce des espèces sauvages) signée en 1973, les peines sont très légères, même lorsque les intermédiaires qui acheminent la corne de rhinocéros, l’ivoire, les peaux de tigre ou de panthère, et bien d’autres espèces animales ou végétales dont le commerce est interdit, se font prendre aux frontières : en général, une amende qui n’est jamais payée, les peines de prison étant à la fois légères et surtout très rares : que faire, par exemple, quand les douaniers découvrent des perroquets gris du Gabon anesthésiés ou des tronçons de défense dans une valise ou une malle à Roissy ? Saisir, rien de plus…

L’impuissance des douaniers

Pourtant, depuis quelques années, Interpol s’intéresse beaucoup à ces trafics animaliers car ils sont de plus en plus souvent organisés par les mêmes réseaux qui font voyager les différentes drogues à travers le monde. Les services de douane ont donc, depuis quelques années, noué des contacts avec les associations internationales de protection de la nature, dont le WWF, pour identifier les filières de circulation des espèces sauvages dont le commerce international est interdit ou réglementé. Mais les résultats sont longs à se faire sentir car les contrôles aux frontières sont plus orientés vers les migrants illégaux. Cela explique sans doute que le montant du chiffre d’affaires mondial annuel de ce trafic d’espèces sauvages soit évalué par les services des douanes à une dizaine de milliards d’euros, les responsables de la Cites citant le chiffre de 15 milliards. Cela place ce « commerce » à la troisième ou quatrième place juste après ceux de la drogue, des armes et des êtres humains (la prostitution). Le faible risque encouru par les trafiquants, petits passeurs ou gros exportateurs, explique que le chiffre de ce commerce soit en augmentation régulière. D’autant plus qu’il est alimenté par la « demande » de plus en plus extravagante des « consommateurs ». Ces derniers ne sont pas seulement à la recherche de l’ivoire ou de la poudre de rhinocéros, mais également de singes, d’oiseaux, d’orchidées ou de cactus rares, d’œufs d’oiseaux, voire de mains de gorille naturalisées. Une liste infinie qui illustre les difficultés des douaniers.

Cette impuissance explique que les rhinocéros soient en voie de disparition (18 000 en Afrique contre 1 million en 1900) dans de nombreux pays, que 30 000 éléphants soient abattus par des braconniers chaque année. Ce qui a fait chuter leur population de 110 000 au cours des dix dernières années. Ce qui explique aussi qu’il y a quelques jours, un des plus vieux éléphants du monde, Satao, ait été abattu au Kenya : il avait 50 ans, il était célèbre et connu pour porter deux défenses pesant chacune 50 kilos…

Écologie
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