Girma Bèyènè : Renaissance d’une étoile de l’éthiojazz

Le grand arrangeur d’Addis-Abeba sort de 25 ans d’oubli avec un disque captivant.

Lorraine Soliman  • 12 avril 2017 abonné·es
Girma Bèyènè : Renaissance d’une étoile de l’éthiojazz
© photo : Cyril Fussien

C’est « une vraie rencontre ». L’expression peut sembler galvaudée, mais, dans la bouche de David Georgelet, on est loin du convenu. Le musicien est encore tout impressionné du petit miracle qui s’est produit il y a moins d’un an, traduit en janvier sous la forme du 30e « Éthiopiques », la fameuse collection discographique de Francis Falceto. Car la rencontre entre Girma Bèyènè, presque septuagénaire tout droit sorti du Swinging Addis, et Akalé Wubé, jeune quintet parisien féru de jazz éthiopien, avec David Georgelet aux baguettes, cymbales et peaux tendues, est bien plus que sincère et immortalisée : elle est d’une évidence quasi-surréelle. Tant musicalement qu’humainement.

Girma Bèyènè, autour de qui et pour lequel Mistakes on Purpose a été enregistré au printemps dernier à Paris, était « le » grand arrangeur d’Addis-Abeba dans les années 1960 et 1970. Il a laissé une trace indélébile dans la discographie de ce que l’on appellera l’« éthiojazz » à partir du milieu des années 1980, signant les arrangements de plus de soixante-dix morceaux qui ont fait swinguer l’Éthiopie pendant au moins deux décennies avant de gagner une renommée internationale grâce à la collection « Éthiopiques ». Autodidacte génial et prolifique, il ne se contente pas d’arranger pour les stars de son temps (dont Mahmoud Ahmed), il enregistre une cinquantaine de titres en tant que pianiste ou compositeur. Mais seulement quatre sous son nom.

Homme de l’ombre, Girma Bèyènè : la puissance de sa musique et l’intensité de son chant (en langue amharique) composent avec une humilité et une bienveillance hors norme. Une modestie qui lui a tout de même fait passer vingt-cinq années d’exil aux États-Unis dans l’anonymat le plus complet. Sans l’insatiable quête « éthio-musicologique » de Francis Falceto, il aurait sans doute continué à servir de l’essence à Washington DC. Heureusement, l’évidence de sa musique est invincible, ce disque et les concerts qui l’accompagnent en sont des preuves irréfutables.

« Quand il chante, il a 20 ans ! », s’exclame David Georgelet. Girma Bèyènè se délecte des envolées rock’n’roll d’Akalé Wubé sur ses propres compositions, tout autant que des « choses un peu dissonantes et autres erreurs volontaires que nous lui avons suggérées ». Trente-cinq ans et un continent les séparent, mais une discothèque universelle les réunit autour du jazz et de la soul des sixties et des seventies. Avec lui, avec eux, l’éthiojazz n’en finit pas de servir les sens.

Mistakes on Purpose, Éthiopiques 30, Prado Records/Buda Musique.

Concerts les 20 et 21 avril au Studio de l’Ermitage, Paris XXe. Le 10 juin au Théâtre national, d’Addis-Abeba. Tournée en France en septembre-octobre.

Musique
Temps de lecture : 2 minutes