Guillaume Meurice : « Il faut porter le micro dans la plaie »

Pitre mais pas que, Guillaume Meurice décortique son métier d’humoriste. Étriller n’empêche pas d’informer.

Jean-Claude Renard  • 5 avril 2017 abonné·es
Guillaume Meurice : « Il faut porter le micro dans la plaie »
© photo : Fanchon Bilbille

Chroniqueur depuis 2014 dans l’émission de Charline Vanhoenacker et d’Alex Vizorek, « Si tu écoutes, j’annule tout », sur France Inter, Guillaume Meurice livre un billet désopilant et politisé, nourrissant son travail de propos de politiques, de personnalités de la société civile ou de simples citoyens. Étrillant à droite au bout de ses reportages, éreintant tout esprit néolibéral, le clan de Valls comme celui de Macron (« beau comme un plan social, beau comme une délocalisation ! »). Autant de chroniques qui ne manquent pas de sens, ni de drôlerie dans l’absurde. Parallèlement, il joue dans un spectacle qu’il a lui-même écrit, « Que demande le peuple ? » ; un personnage de communicant, cynique et arrogant. Une satire pédagogique et spectaculaire. Rien de plus normal pour qui vient précisément du spectacle. D’un exercice à l’autre, cultivant la repartie, il y a chez lui un esprit frondeur, turbulent, avec toujours ce tempérament _« à faire le pitre ».

À la radio, votre travail oscille entre le comique d’investigation et le journalisme. Qu’est-ce qui a présidé à cette forme ?

Guillaume Meurice : Pour de précédents spectacles, j’avais fait quelques vidéos de promo qui consistaient à me promener déguisé dans la rue. En 2012, notamment, au meeting de Nicolas Sarkozy, je suis allé à la Concorde costumé en Marianne, avec un panneau « J’ai mal au cul » au recto et « Moi Marianne, femme battue depuis 5 ans » au verso. Je l’admets, j’ai une propension naturelle à asticoter le monde ! J’aime le taquinage artistique. Au moment de monter l’émission avec Charline Vanhoenacker, le coprésentateur, Alex Vizorek, m’a proposé d’aller sur le terrain pour en rapporter trois ou quatre minutes de reportage humoristique sur un thème de mon choix. Ainsi est né « Le moment Meurice », mélange d’humour potache et sociétal et d’expression populaire.

Vous utilisez les codes du journalisme en allant sur le terrain de l’actu, micro à la main. Quels rapports entretenez-vous avec les journalistes ?

C’était ma principale interrogation quand j’ai commencé. Les jouralistes pouvaient penser que j’empiète sur leur terrain. Finalement, cela se passe très bien, justement parce que je ne vais pas sur leur terrain. Je ne me mêle pas à eux quand ils interrogent les politiques. Pour ma chronique, j’ai besoin d’installer un dialogue. Je ne fonce pas dans le tas. Je les laisse faire leur boulot avant de poser moi-même mes questions. C’était le cas récemment avec Patrick Balkany. J’ai attendu que toutes les interviews soient terminées pour aller le voir. C’était juste après la démission de Bruno Le Roux et j’avais besoin de savoir si Patoche n’en avait pas marre de tous ces politiques qui magouillent.

Vous insistez toujours sur le fait que vous n’êtes pas journaliste…

Oui, car c’est la vérité. J’utilise les mêmes codes mais à des fins satiriques. Comme pour Le Gorafi, il n’y a que sur la forme qu’on peut me confondre avec un journaliste. Mon but n’est pas d’informer les gens mais de les faire marrer. Je n’ai pas envie de me prendre pour ce que je ne suis pas. Et puis qu’est-ce que veut dire, journaliste ? Jean-Pierre Pernaut a une carte de presse, un reporter de guerre aussi. Éviter des tirs de sniper à Kaboul ou lancer un reportage sur la fête de la saucisse à Quimper, est-ce le même métier ?

Pensez-vous que le rire ou une innocence feinte vous permettent d’obtenir plus de vos interlocuteurs politiques ?

Avec une certaine innocence ou des questions faussement naïves on peut en effet obtenir des choses. À ma question, Balkany avait bien compris que je me foutais de lui. Ça n’en restait pas moins une vraie question, il était bien obligé de répondre. C’est assez amusant à faire. Par exemple, je considère la salle des Quatre-Colonnes, à l’Assemblée nationale, comme un théâtre. Les politiques sont dans leur rôle, complètement rompus à l’exercice, et, de l’autre côté, des journalistes ont besoin de leurs réactions pour leur rédaction. Dans cette mise en scène parfaitement rodée, j’arrive et j’improvise. Je ne respecte ni le texte ni la mise en scène. Je pose d’autres questions. Je relance. J’insiste. Il faut aller voir ce qui se cache au-delà des éléments de langage. Porter le micro dans la plaie !

In fine, les humoristes n’ont-ils pas plus de liberté que les journalistes – au motif de l’humour. En allant plus loin, doit-on laisser les plateaux de télé aux humoristes ?

Ils ont certainement plus de liberté, mais, surtout, ils la prennent. Encore une fois, « journaliste » est un terme générique. Si François Fillon acceptait d’être interviewé par Politis, je ne crois pas qu’il lui serait posé les mêmes questions que celles formulées par Ruth Elkrief. C’est pour cette raison que Fillon n’accorde pas d’interview à Politis et qu’il est salutaire de balancer un pavé dans votre téléviseur dès que Ruth Elkrief apparaît à l’écran.

À l’époque de l’ORTF, mais aussi après, on a parlé de censure, puis d’autocensure. À un moment où la concentration n’a jamais été aussi forte, quel regard portez-vous sur les médias ?

Je suis pour une vaste opération d’esprit critique sur tout ce qu’on nous balance. D’autant que l’information va désormais très vite et que chacun veut être le premier, jusqu’à dire n’importe quoi, sans vérifier ou en vérifiant après ! Cet esprit critique devrait même être enseigné à l’école. Il s’agit de cultiver l’art du « pourquoi ? ». Pourquoi François Lenglet est-il présenté comme un expert en économie ? Pourquoi demander un avis artistique à Yann Moix ? Pourquoi Éric Ciotti ?

Cette campagne, avec ses affaires successives, qui a très vite viré à la caricature, ne vous prend-elle pas une part de votre travail d’humoriste ?

Non, c’est peut-être même plus facile ! Quand on se rend à un meeting de Fillon, on est sûr de croiser des gens qui défendent l’indéfendable. On sait que ce sera drôle, parce que votre interlocuteur va tenter de trouver une logique qui se révélera forcément absurde ! Comme la propre défense de Fillon, qui est tellement catastrophique qu’elle n’est pas sans rappeler celle de l’équipe de France de foot.

Comment observez-vous les candidats à la présidentielle ?

Comme des produits marketing. Chacun répondant à une offre politique. Il n’y a plus de débats d’idées, juste des postures. Les électeurs sont considérés comme des consommateurs. C’est pourquoi il est urgent de changer de mode de scrutin et de ne plus avoir à voter pour des gugusses mais pour des idées.

Y a-t-il un slogan qui vous fait rire ?

Quasi tous ! C’est une forme très drôle, le slogan. C’est une sorte de mystification sculptée. Un haïku en mensonge. Et particulièrement les slogans politiques. « La France apaisée » de Marine Le Pen est un chef-d’œuvre quand on connaît ses militants, qui tiennent plus du rottweiler sous acide que du yogi sous verveine.

Le métier d’humoriste peut-il se passer d’engagement ?

Oui, parce qu’il faut tous les styles. La scène reste un espace de liberté, chacun y fait ce qu’il veut. On peut trouver des sketchs sur la vie quotidienne qui sont très marrants. Pour moi, l’humour est un moyen, ce n’est pas une fin. Si je n’avais pas choisi l’humour comme mode d’expression, je dirais les mêmes choses d’une autre façon. Mais je m’amuserais sans doute moins !

Y aurait-il un humour de droite et un humour de gauche ?

Peut-être que l’humour de gauche est celui qui se tourne vers les gens qui n’ont pas la parole, contre ceux qui la monopolisent. Quant à l’humour de droite… Existe-t-il ? Existe-t-il un humour sarkozyste par exemple ? Un mec qui ferait un stand-up en commençant par « Je ne sais pas si vous avez remarqué, quand vous prenez 300 000 euros pour une conférence… » !

Il y a quelque chose de frappant dans le métier d’humoriste, à l’exception de Nicolas Bedos, peut-être, c’est qu’il n’existe pas de fils de…

En effet, parce que c’est le public qui décide. Il rit ou pas ! Et on ne peut pas forcer les gens à se marrer. Ce n’est pas parce que vous êtes le fils de machin que le public va rigoler. De fait, cela donne un milieu assez sain, avec peu de rivalités et pas mal d’entraide. Il y a une solidarité tacite liée au respect mutuel de notre situation. En faisant la promesse de faire rire, on se met soi-même dans une situation délicate. Car personne n’a envie de ne pas tenir cette promesse et de devenir le François Hollande de l’humour.

À l’occasion de certains meetings, ou dans certaines circonstances, comme la cérémonie des « Bobards d’or », réunissant un parterre de figures de l’extrême droite, d’où vous avez été viré, on est loin du confort de la scène. Vous ne craignez pas qu’un jour cela puisse mal se passer ?

C’est possible. Mais, en règle générale, je n’ai pas peur, j’y vais dans un esprit de dialogue et avec le sourire. Je ne suis pas dans la confrontation ni dans l’invective. Lors d’une « Manif pour tous », je me suis retrouvé confronté à des identitaires assez vindicatifs, me traitant de « pute du système ». Je suis allé discuter avec eux. Leur manif partait de la porte Dauphine pour aller au Trocadéro. Elle était organisée par des bourgeois cathos tradis. Bref, elle était aussi antisystème que Macron le révolutionnaire.

Le système, c’est quoi ? En étant à France Inter, ne faites-vous pas partie du système ?

Évidemment. Mais qui ne fait pas partie du « système » ? Même un punk à chien qui fume des roulées alimente le lobby du tabac. L’important, c’est la place qu’on occupe dans ce système. Est-ce qu’on a suffisamment de liberté pour le critiquer, le remettre en cause et, surtout, le changer ? C’est la seule question qui vaille.

Que demande le peuple ?, tous les mardis au Café de la Gare, 41, rue du Temple, Paris IVe, et en tournée : www.guillaumemeurice.fr

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