« L’Opéra », de Jean-Stéphane Bron : Un jeu de société

L’Opéra donne à voir par petites touches une aventure collective.

Christophe Kantcheff  • 5 avril 2017 abonné·es
« L’Opéra », de Jean-Stéphane Bron : Un jeu de société
© photo : Films du Losange

Jean-Stéphane Bron a filmé l’Opéra de Paris – surtout l’Opéra Bastille – durant l’année 2015 jusqu’en juillet 2016. C’est-à-dire pendant la saison avortée de Benjamin Millepied à la tête du Ballet. Mais aussi quand eurent lieu les attentats et, dans un autre registre, les manifestations contre la loi El Khomri. Ces événements, qui participent au « scénario » du film, ont eu des incidences certaines sur l’Opéra. Si le cinéaste a peu filmé Benjamin Millepied, l’onde de choc des attentats y est très perceptible. Mais le documentaire de Jean-Stéphane Bron n’aurait pas été fondamentalement différent si l’année et demie écoulée avait été plus calme.

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Le cinéaste raconte avant tout un organisme en fonctionnement, une société peut-être pas utopique mais où chacun tient son rôle, une institution exigeante, considérée comme élitiste, mais pas loin d’être exemplaire. Au rayon des références, L’Opéra a beaucoup de points communs avec At Berkeley, que Frederick Wiseman avait réalisé sur la prestigieuse université américaine (plus encore qu’avec La Danse. Le Ballet de l’Opéra de Paris, du même cinéaste). En premier lieu, il est tout aussi passionnant. Le film de Jean-Stéphane Bron avance de la même manière, par touches, en suivant plusieurs des fils qui se nouent au sein de l’établissement, et en en faisant finalement sentir l’esprit et le cœur.

L’Opéra pourrait être saturé de beauté, de performances vocales et scéniques, de magnificences lyriques. Le temps d’un plan séquence, il peut l’être, quand par exemple le jeune chanteur russe Micha, admis pendant deux ans à l’Académie de l’opéra, répète une mélodie de Jacques Ibert. Mais, sous l’œil du cinéaste, il est aussi un lieu chargé de politique (au sens large, entre gestion, lutte des classes et démocratisation), de transmission et d’efforts. Le film offre ainsi une photographie précise de la politique libérale telle qu’elle s’applique aujourd’hui, avec les crédits publics en berne, les suppressions de postes et les menaces de grève, alors que l’Opéra ne veut pas renoncer à une programmation audacieuse, tout en maintenant la même affluence – ce que lui réclame l’État.

Des costumières à la diva narcissique, du taureau qu’on amène sur le plateau au soliste qu’il faut remplacer au dernier moment, L’Opéra capte toute cette diversité humaine (et animale), non sans humour. C’est une magnifique partition que livre Jean-Stéphane Bron, qui nous permet d’approcher avec beaucoup d’intelligence une grande institution culturelle et républicaine.

L’Opéra, Jean-Stéphane Bron, 1 h 50.


Cinéma
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