Mani Soleymanlou : L’Iran à la place du cœur

Figure de la scène théâtrale québécoise, Mani Soleymanlou, d’origine iranienne, présente en France sa géniale trilogie autofictive, Un, Deux, Trois, tirant avec humour les fils de sa propre histoire.

Anaïs Heluin  • 12 avril 2017 abonné·es
Mani Soleymanlou : L’Iran à la place du cœur
© photo : Anne Sendik

L’Iran, on le lui a arraché. C’était il y a longtemps, « un dimanche du siècle dernier. Un dimanche du mois de janvier, à Téhéran ». Lui, il aurait bien aimé que ça repousse, mais un pays, c’est comme une plante : quand on s’attaque aux racines, c’est l’ensemble qui dépérit. À l’âge de 9 ans, il est donc arrivé à Paris – « Paris, la cour, les Lumières, Rousseau, Diderot, Soleymanlou », où, dit-il en introduction de Un, « une nouvelle langue s’est déposée sur la mienne, la vraie, la maternelle ». Avant de s’installer au Canada.

À défaut de pouvoir revendiquer une terre à lui, Mani Soleymanlou, devenu depuis une figure majeure du théâtre québécois, tient à s’assurer de la force de son manque. Rebelote dans Deux, la deuxième partie de sa trilogie, puis dans ce troisième volet, où « Je, Mani Soleymanlou, personnage principal », décline son identité complexe sur un ton faussement tragique.

L’autofiction, chez Mani Soleymanlou, est une bonne blague qui gagne à être répétée et partagée. Aussi, dans Deux, l’auteur et comédien est-il accompagné du Québécois « de souche » Emmanuel Schwartz. Et enfin, dans Trois, par trente-cinq comédiens d’ici et d’ailleurs. À force de tirer sur les fils emmêlés de sa propre histoire, Mani fait tomber tout le guêpier identitaire qui le poursuit depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre du Canada en 2008.

À trois reprises, espacées par de courts entractes, Mani Soleymanlou braque donc son humour sur les mêmes cibles. Soit le racisme et l’obsession de l’identité nationale, mais aussi ceux qui s’en plaignent. Lui-même en premier lieu, histoire de bien balayer tous les clichés qu’il rencontre sur sa route périlleuse.

Entre anecdotes intimes, parodies d’exposés sur la culture persane, qu’il avoue ne connaître que grâce à Internet, et ses réflexions sur les révoltes de 2009 à Téhéran comme sur le multiculturalisme canadien, la trilogie révèle un imaginaire foisonnant doublé d’un esprit critique des plus aigus. Avec des chaises noires alignées pour seul décor, Mani Soleymanlou compose une mosaïque dont l’intelligence résonne en France aussi bien qu’au Canada, où elle a été créée. D’autant plus que, pour son passage à Paris (d’abord en mars au Théâtre Gérard-Philipe, à Saint-Denis, dans le cadre de la programmation de la MC93), il fait intervenir dans Trois de nombreux interprètes français. Des comédiens professionnels, en formation ou amateurs, dont les peurs et les questions font écho à celles de Un et Deux.

Parmi eux, l’auteure Samira Sedira, un Inuit, le dramaturge et comédien Gustave Akakpo ainsi que des jeunes issus de milieux divers qui s’interrogent sur l’état de la démocratie française. Sur l’entrée de la violence dans leur quotidien depuis les attentats et sur leur manque de perspectives personnelles et collectives. Si, entre deux prises de parole, on retrouve certains motifs récurrents des deux premières parties, Mani Soleymanlou s’efface presque devant le déchaînement de paroles qu’il a suscité. Tel un chef d’orchestre dépassé par les événements. Comme dans Un et Deux, il s’agite, court dans tous les sens et intervient parfois pour poser à ses interprètes le type de questions qu’a toujours soulevé son identité. Difficile d’échapper aux préjugés, autant que de faire face au succès.

Après la reconnaissance internationale acquise grâce à ses deux premières pièces, l’artiste questionne ainsi dans Trois la nature et la portée de son geste théâtral. Il mesure la distance qui le sépare de ses débuts aux « Lundis découverte » organisés par le Théâtre de Quat’Sous, à Montréal, proposant de « découvrir un artiste québécois issu d’un milieu culturel ». Comme son Iran natal, le théâtre est pour Mani Soleymanlou le lieu par excellence de la question qui dérange.

Trois, précédé de Un et Deux, Mani Soleymanlou, du 18 au 22 avril à Chaillot, Théâtre national de la Danse. Paris XVIe. Tél. : 01 53 65 30 00 ou ww.theatre-chaillot.fr. Du 25 au 29 avril au Tarmac, Paris XXe.

Théâtre
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