La société civile divisée sur le vote Macron

Nombre d’organisations appellent à faire barrage au Front national, mais toutes ne prononcent pas le nom du candidat d’En marche !, dont le programme est déjà la cible des prochaines luttes sociales.

Ingrid Merckx  • 2 mai 2017
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La société civile divisée sur le vote Macron
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Les appels à faire barrage au FN se multiplient. Ils n’ont pas été rédigés, ni signés, sans heurts : la société civile se divise sur le vote Macron, comme bon nombre d’électeurs de gauche partagés entre la volonté de contrer le Front national et la schizophrénie qu’il y aurait à mettre un bulletin Macron dans l’urne quand on a milité contre la loi travail, l’état d’urgence, les violences policières, les politiques d’austérité, l’accueil indigne des migrants…

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Réseau éducation sans frontières

Parmi les débats les plus frappants, ceux des membres du Réseau éducation sans frontières (RESF), en première ligne contre les expulsions de sans-papiers, le mauvais accueil que la France réserve aux migrants, le délit de solidarité. « Faire barrage au FN » s’intitule le texte mis en ligne le 29 avril qui rappelle les mesures les plus dangereuses prévues par Marine Le Pen contre « les prétendus méfaits de l’immigration » : « Interdiction (baptisée moratoire) de toute migration pendant trois mois pour commencer, solde migratoire annuel ramené à 10 000, obligation pour les immigrés de cotiser pendant cinq ans avant d’avoir droit à la moindre prestation sociale, suppression de l’aide médicale d’État, interdiction de toute scolarité pour les enfants de sans-papiers, obligation pour les étrangers de payer pour scolariser leurs enfants, déchéance de nationalité et expulsion pour les fichés S mais aussi pour certains délinquants… »

RESF ne dédouane pas le gouvernement Hollande de ses renoncements dont « le candidat Macron est comptable » : « Poursuite de l’enfermement des enfants de sans-papiers, expulsions d’élèves ou de leurs parents, abandon du droit de vote des résidents étrangers aux élections locales, persistance du “délit de solidarité”, durcissements de la législation… » Mais le message est clair : « Il est pour le Réseau éducation sans frontières non seulement inenvisageable que Le Pen soit élue, mais aussi nécessaire que son score soit le plus faible possible. »

Sauf que c’est le message national. Tous les groupes RESF locaux ne sont pas sur cette ligne. RESF brille depuis des années par sa capacité à mobiliser à toute vitesse contre une expulsion et à rédiger rapidement des prises de position collectives. Cette fois, le texte n’est pas paru sans faire grincer des dents sur le mode du « ni-ni » : « Le capitalisme néolibéral mondialisé féconde et engendre le fascisme […]. Ils n’auront pas nos voix. »

Droit au logement

Transférée par son porte-parole Jean-Baptiste Eyraud, le collectif Droit au logement (DAL) affiche une position sans ambiguïté : « Barrons la route à toute l’extrême droite et à Le Pen dans la rue comme dans les urnes ! Puis nous lutterons contre les réformes libérales de Macron… »

François Ruffin

Figure de la lutte contre « la loi travail et son monde », François Ruffin a laissé entendre le 27 avril à Amiens devant le site de Whirlpool qu’il pourrait voter Macron tout en restant un « opposant ferme dès le 8 mai au matin » : « C’est le principe de l’isoloir, il y a un rideau parce que ce n’est pas la première fois que je vais avoir à faire un geste dont je ne suis pas fier au second tour de l’élection », a-t-il expliqué à Élise Lucet.

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Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs

« Ni brun ni blanc, Macron », clame sans ambages la Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP). Elle rappelle : « Dans des municipalités alors dirigées par le FN – à Orange, à Marignane ou encore à Vitrolles –, la culture a été décimée, la préférence “nationale” proclamée. Ce n’est pas un fantasme, c’est une réalité : il y a quelques semaines encore, un élu FN déprogrammait le dernier film de Lucas Belvaux. » (Chez nous) Et d’ajouter : « Comment censurer des films, fermer des centres culturels, promouvoir un art “caché” pourraient être des réponses acceptables ? Pourtant, telles sont les priorités du Front national en matière de culture. »

Collectif de professionnels de la culture

Même position de la part d’un collectif de professionnels de la culture, dont les syndicats, pour une fois rassemblés – CFDT culture, CFTC, CGT Culture, CGT Spectacle –, mais aussi la Ligue de l’enseignement, l’Observatoire de la liberté de création, la Sacem, la Société des gens de lettres et le SYNDEAC : « Les arts et la culture, par leurs valeurs de diversité, de partage et d’épanouissement des libertés sont indissociables d’une société démocratique d’égalité et de fraternité […] Nous ne pouvons accepter la banalisation du Front national et de ses idées antidémocratiques […]. Nous appelons à participer au scrutin du 7 mai, à voter pour faire barrage au FN. »

Fédération des conseils de parents d’élèves

Dès le 24 mai, la FCPE a appelé « tous les parents d’élèves qui défendent les valeurs de la République, qui s’opposent au repli sur soi, à participer au scrutin en votant le 7 mai prochain, contre les idées de l’extrême droite. » Position de principe probablement car le bureau national n’a sûrement pas eu le temps de consulter les groupes locaux, mais le texte n’a pas eu l’air de susciter de déchirements.

Organisations de jeunesse

« Ni Le Pen ni Macron, ni patrie ni patron », répétaient les lycéens rassemblés contre l’affiche du second tour lors de la Nuit des barricades le 27 avril. Mais les organisations de jeunesse comme l’Union nationale des lycéens, le Syndicat général des lycéens, mais également l’Union des étudiants communistes, les Jeunes radicaux de gauche et les Jeunes écologistes ou la Mutuelle des étudiants ont signé un texte commun contre le FN qui ne sera jamais « un parti comme les autres ». Ils appellent à se déplacer le 7 mai pour un vote barrage.

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Syndicats

Du côté des organisations syndicales, Philippe Martinez a dû se fendre d’un communiqué au nom de la CGT pour appeler à voter contre le FN, sans pour autant prononcer le nom d’Emmanuel Macron. Comme en 2002, les syndicats sont sortis de leur neutralité politique vis-à-vis des élections pour appeler à contrer le FN, sauf Force ouvrière, fidèle à sa posture d’indépendance politique. Ce serait pourtant dans ses rangs qu’il y aurait le plus d’électeurs frontistes.

La CFDT est la seule centrale à soutenir nommément Emmanuel Macron. La CGT a condamné « le renoncement à une Europe sociale » ou encore « l’utilisation à répétition du 49.3 » et Solidaires a précisé : « L’alternative [au FN] n’est pas la continuité avec les politiques des précédents gouvernements qui ont conduit à l’exaspération sociale et au renforcement de l’extrême droite ». La CNT, organisation revendiquant l’autonomie des luttes, a déclaré, le 1er mai : « La population aura le choix entre un ancien banquier prônant un libéralisme sauvage et la candidate FN dont le programme se résume à la haine des étranger.es et qui ose prétendre défendre les plus pauvres, les ouvrier.es, alors que ce parti sera toujours l’allié de la bourgeoisie et l’ennemi des travailleur.euses. […] Préparons la riposte sociale ».

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Médecins

Des médecins, réunis derrière les professeurs André Grimaldi et Bernard Granger du mouvement de défense de l’hôpital public rappellent le serment d’Hippocrate : « Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l’humanité… Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. » Serment au nom duquel ils déclarent : « Il est de notre devoir, pour faire barrage à Marine Le Pen et au Front national, de voter et d’appeler à voter, quels que soient notre sensibilité et notre vote du 1er tour, pour Emmanuel Macron. » Limiter les soins aux étrangers malades, via la suppression de l’aide médicale d’État notamment, fait partie des mesures phares du Front national.

Mais sur la liste de discussion professionnelle de ces médecins défenseurs de l’hôpital public, qui s’est créée au moment de la lutte contre la loi HPST, ont eu lieu des échanges sur le droit de sortir de son « devoir de réserve » quand on est membre de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Soit, a rappelé Martin Hirsch, son directeur, à ne pas parler de choix politiques. « Mais quand, sinon maintenant ? », ont rétorqué une partie des abonnés à cette liste, disant qu’ils ressentaient, devant le risque du FN, la limite de leur devoir de réserve et le besoin de rappeler leurs obligations de soignant.

Associations

« Nous ne pouvons pas rester spectateurs », clament 61 associations dans le JDD dont Aides, Attac, Emmaüs, Greenpeace, la Ligue des droits de l’Homme : « Nos organisations côtoient toutes celles et tous ceux qui peuvent être tentés par le découragement, la colère, l’indifférence ou l’opposition aux politiques qui n’ont pas répondu aux inégalités et à l’injustice que beaucoup ressentent […] Avec l’expérience des dernières décennies, la tentation est forte de considérer que nos combats ne se gagneront pas par le vote, qu’il n’y a pas grand-chose à attendre de ce qui sortira des urnes. Pourtant, si le meilleur n’est pas forcément garanti, le pire reste malheureusement possible. »

Sympathisants de la France insoumise

« Battre le FN. Soit. Donc voter Macron, selon la pseudo-évidence en forme de rengaine dont on nous accable. Mais un tel vote ne légitime-t-il pas un type de politique qui n’a cessé de nourrir le FN en causant une désespérance sociale ? Telle est la vive contradiction que peut éprouver une conscience citoyenne, insoumise », exprime dans Le Monde une tribune de Henri Pena-Ruiz (philosophe), Bruno Streiff (romancier et metteur en scène) et Jean-Paul Scot (historien et écrivain), disant tout haut ce que nombre d’électeurs de gauche, membres ou sympathisants de France insoumise mais aussi autonomes, pensent tout bas : « Les donneurs de leçons en matière de lutte contre l’extrême droite doivent balayer devant leur porte ». Pour les trois auteurs de ce texte, « rejeter l’effet Le Pen sans remonter à la cause politique et sociale que perpétue le programme Macron, est-ce vraiment faire face à l’emprise de l’idéologie du FN, qui n’a cessé de s’étendre ces trente dernières années ? On peut s’interroger sans être aussitôt soupçonné de complicité avec l’extrême droite ! Ne serait-ce que pour éviter à M. Macron de se croire tout permis en se méprenant sur le sens de son élection éventuelle, par rejet de son adversaire plutôt que par adhésion à sa personne et à son programme. »

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Universitaires

« Nous voterons Macron mais combattons son “projet” pour l’enseignement supérieur et la recherche », alertent des universitaires dans une tribune publiée le 26 avril. Le 2 mai, ils étaient 830. Premier objectif : se désolidariser d’une tribune d’autres universitaires parue dans Le Monde en soutien à Emmanuel Macron : « En surfant sur la vague de la “Marche pour les sciences” et sous couvert de front républicain, ce texte veut faire croire que la vision libérale de M. Macron est soutenue par une large communauté dans le monde universitaire et scientifique. La réalité est moins glorieuse : les 45 signataires, pour la majorité professeurs des universités, sont peu représentatifs de la diversité des disciplines et surtout des personnels qui font vivre l’université et les instituts de recherche. C’est donc l’occasion de remettre les points sur les i. »

Deuxième objectif : redire leur opposition au fascisme (le terme ne faisant pas débat dans ce texte, alors que c’était le cas dans la tribune de Henri Pena-Ruiz, Bruno Streiff et Jean-Paul Scot) et leur décision de voter Macron, « mais en étant conscients que ce “barrage” que nous contribuerons à former aura pour conséquence l’application d’une politique libérale qui contribuera à l’accroissement des inégalités et pourrait servir de marchepied au Front national pour continuer sa percée à brève échéance. »

Ils soulignent donc les attaques du candidat Macron contre le système de protection sociale et le droit du travail, la fragilisation des classes populaires au bénéfice des possédants, et, surtout, détaillent les mesures les plus inquiétantes de son programme concernant l’enseignement supérieur et la recherche. En tête, sa volonté d’accroître l’autonomie des universités : « L’autonomie mise en place sous Sarkozy est d’abord allée de pair avec un appauvrissement des universités qui doivent faire face à une hausse mécanique – due à l’ancienneté – de leur masse salariale dont elles ont désormais la charge, sans hausse de leurs ressources propres. » Budget insignifiant, poursuite de la privatisation de l’enseignement supérieur, aucun doute pour eux, Emmanuel Macron « propose d’approfondir cette patiente destruction de l’université qui s’est engagée depuis des décennies, et s’est accélérée ces dernières années ».

Pas mieux du côté de la recherche : programme indigent, opportuniste et sans proposition concrète. « La seule volonté claire qui ressort de la communication de campagne du candidat est celle de mettre la recherche au service de “l’innovation, [car elle est] la clé de la compétitivité et de la croissance”. Cette vision étriquée et court-termiste, épuisée jusqu’à l’os depuis le début des années 2000, trahit une méconnaissance profonde des activités de recherche. » Les centaines d’universitaires qui ont déjà signé ce texte sur le site Rogue ESR ne sont dupes de rien, mais pour eux, contrer le FN reste « une priorité à court terme ». Comme beaucoup d’autres sur la même ligne, ils ajoutent qu’ils lutteront ensuite contre le programme d’Emmanuel Macron et les inégalités qui font les affaires du FN.

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