Le PS au bord du gouffre

La campagne laisse apparaître les fractures qui déchirent le Parti socialiste à la veille d’une catastrophe électorale annoncée.

Nadia Sweeny  • 31 mai 2017 abonné·es
Le PS au bord du gouffre
© photo : Sadak Souici/Citizenside/AFP

« Tout est très clair ! », répète Jean-Christophe Cambadélis, au QG du PS, au moment de présenter son équipe de porte-parole pour les législatives. L’occasion d’apprendre que Bernard Cazeneuve ne dirige pas la campagne des socialistes comme cela s’est dit : « La tête de fil est portée par le bureau national, affirme la porte-parole Christine Revault d’Allonnes-Bonnefoy. On a décidé de porter cette bataille collectivement ! » Une solution qui permet surtout de limiter l’effet dévastateur d’un positionnement individuel dont les orientations pourraient mettre de l’huile sur le feu de la désunion, laquelle ravage déjà la maison socialiste.

Quoi qu’il en soit, Bernard Cazeneuve, qui s’était porté volontaire pour cette tâche, continue de faire comme si c’était lui. Il sillonne la France pour apporter son soutien à des candidats socialistes triés sur le volet, notamment ceux « qui n’ont pas fait défaut pendant le quinquennat et qui veulent la réussite de la France », déclarent des proches de l’ancien Premier ministre au Figaro, le mercredi 24 mai. Autrement dit, des candidats « Macron compatibles », même s’ils ont des adversaires investis d’En marche ! ; comme Élisabeth Guigou, en Seine-Saint-Denis ; Olivier Faure, en Seine-et-Marne ; Christophe Sirugue, en Saône-et-Loire ; ou encore Erwann Binet, en Isère. Ce dernier s’affiche sur son matériel de campagne sans le logo PS, serrant même la main du nouveau Président : « Soit on est dans la majorité, soit dans l’opposition, il n’y a pas trois positions. Je ne serai pas dans l’opposition, a-t-il déclaré. Je suis fidèle à la position du bureau national du PS. » Au Parti socialiste, on affirme que le soutien de Cazeneuve à Binet est « dû à l’amitié soudée autour de la lutte pour la loi sur le mariage homosexuel ».

Le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, affirme, quant à lui, que les « candidats qui s’affichent avec la formule “majorité présidentielle” » ne respectent pas « la position du Parti socialiste ». Il faut dire que Cambadélis est lui-même en grande difficulté dans sa circonscription face à son adversaire d’En marche !, le secrétaire d’État chargé du Numérique, Mounir Mahjoubi, et il n’a pas d’autres choix que de jouer la carte de la différenciation avec le mouvement macroniste. Quand les logiques personnelles prennent le pas sur le discours national, il y a de quoi en perdre son latin.

Dans ce brouillard provoqué par la comète « Macron », le PS tente donc un jeu d’équilibriste sur une troisième voix : celle de l’opposition molle, de la « gauche constructive », « qui veut la réussite de la France » mais – en même temps – qui reste « vigilante »… Le flou qui a réussi à Emmanuel Macron a gagné les instances socialistes. L’enjeu est de taille : il s’agit de garder un maximum de troupes au bercail à l’heure de la débandade annoncée. Et ce alors qu’une quinzaine de candidats investis PS se sont déjà déclarés ouvertement pour la majorité présidentielle et que 350 élus, dont 43 parlementaires, avaient parrainé Macron à la présidentielle.

Outre Manuel Valls, qui s’est positionné très tôt – avec le soutien officiel de Bernard Cazeneuve –, et dont le processus d’exclusion du parti est en cours, d’autres anciens ministres ont été nettement moins « courageux » : Myriam El Khomri ou encore Marisol Touraine ont patiemment attendu la date limite officielle des dépôts de candidature pour faire leur « coming out », laissant les militants socialistes cois. La première conserve sur ses affiches le logo PS surtitré d’un « avec Emmanuel Macron » qui fait s’étouffer les militants. La seconde a, elle, totalement évacué l’image socialiste sur son matériel électoral qui l’annonce « avec la majorité présidentielle ».

« On n’a découvert le matériel de campagne de Marisol Touraine que le dimanche soir, grince Francis Gérard, président d’Indre-et-Loire. Elle a fait des arrangements secrets avec les équipes du Président pour ne pas avoir de candidat devant elle, ce que les militants d’En marche ! n’apprécient pas non plus : nous avons été roulés dans la farine », renchérit le socialiste, qui dit avoir « appelé les électeurs à se reporter sur les candidats de leur choix, à gauche ». Pas de consignes précises : « Il n’y a pas d’accord entre partis » ni de soutien de campagne, les forces militantes PS, comme celles d’En marche ! « font campagne dans les circonscriptions d’à côté », précise Francis Gérard, demandant avec malice « qui va coller les affiches ? » de Marisol Touraine. « On a souhaité que le national s’empare de cette question, mais on nous a renvoyés à nos responsabilités locales », s’agace le militant.

Rue de Solférino, on s’accroche coûte que coûte à la ligne équilibriste, quitte à avaler des couleuvres. Pour Gérard Filoche, ce flou mortifère est imputable à la formule : « On souhaite la réussite du quinquennat. » « Forcément, si on souhaite la réussite de Macron, les gens vont voter Macron, écrit-il. Cela revient à saboter la campagne des socialistes »…

« Il n’y a pas de fermeté à la tête du PS, car il n’y a plus de direction au PS », tranche Alexis Bachelay, ancien porte-parole de Benoît Hamon pendant la présidentielle et candidat aux législatives dans les Hauts-de-Seine. Il fustige le manque de « campagne nationale cohérente du fait qu’il n’y a plus de leader incontesté »,soulignant le grand nombre de ténors qui quittent la politique. « Un ancien monde disparaît, et un nouveau n’est pas encore né, c’est un peu le clair-obscur du PS. »

D’autant que la fracture entre hamonistes et le reste du PS semble se creuser : « Benoît Hamon n’est jamais aux bureaux nationaux !, s’agace Julien Dray, nouveau porte-parole du parti pour les législatives. Il n’est même pas venu au premier bureau national après le premier tour : c’est une erreur politique ! Même Ségolène Royal, en 2007, l’avait fait ! »

La clarification au PS risque d’être douloureuse. Alors que Thierry Mandon, ancien secrétaire d’État du gouvernement Valls, appelle à la démission de Jean-Christophe Cambadélis et à une direction collégiale du parti, Martine Aubry, elle, s’est lamentée lors d’une conférence de presse à Lille, mercredi 24 mai, où elle devait formuler son soutien aux candidats socialistes : « J’ai l’impression que tout ce que j’ai fait dans ma vie est abîmé, cassé. Tout ce à quoi j’ai cru. » Le temps venu de la recomposition ? « Nous sommes en plein milieu d’une séquence politique : on ne peut pas entrer dans ce chantier énorme maintenant, temporise Alexis Bachelay. Nous sommes obligés de nous accrocher à notre identité politique. Après, on verra… » L’été s’annonce chaud au PS.

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