OGM : Le combat continue

La deuxième Rencontre internationale des résistances aux OGM, à Lorient, a démontré la nécessité de renouveler les stratégies de lutte contre les ambitions des multinationales de l’agrochimie.

Patrick Piro  • 3 mai 2017 abonné·es
OGM : Le combat continue
© photo : Christophe ESTASSY/CITIZENSIDE/AFP

En 2006, j’étais à Lorient avec Greenpeace pour empêcher l’entrée d’une cargaison de soja transgénique dans le port. Me voilà au même endroit une décennie plus tard, et les OGM destinés à l’alimentation animale passent toujours », déplore Arnaud Apoteker. Pour faire contrepoids, le militant cite la spectaculaire victoire de la population du quartier d’Intuzaingo, dans la ville de Córdoba (Argentine) : après quatre années d’affrontements, souvent violents, son blocus a finalement eu raison, en novembre dernier, du projet de construction par Monsanto d’une des plus grandes usines de production de semences transgéniques au monde.

Après la vague des fauchages de champs OGM des années 2000, le refus des consommateurs de voir des transgéniques dans leur assiette et le barrage qu’oppose le gouvernement à la culture du maïs transgénique Mon810 de Monsanto, « les gens croient que les OGM sont bannis en France, alors qu’il ne s’agit que d’un moratoire, constate un des ateliers, et que de nouvelles générations de plantes manipulées, des OGM “cachés” tels que le colza et le tournesol, sont dans les champs. »

La deuxième Rencontre internationale des résistances aux OGM, qui s’est déroulée à Lorient du 28 au 30 avril à l’initiative de l’association bretonne Ingalan, a montré que la bataille était loin d’être terminée. Bien que venu d’une trentaine de pays, le public un peu clairsemé de quelque 200 participants, où les grandes organisations françaises manquent à l’appel, a tenté de relancer une mobilisation globale face à de nouveaux défis. « On ne s’en sortira pas sans la solidarité du Nord », prévient Blandine Sankara, porte-parole du mouvement CCAE, lequel a mobilisé contre le coton OGM au Burkina Faso (lire aussi « OGM : Le fiasco de Monsanto au Burkina Faso »). Les nouveaux enjeux sont-ils insuffisamment perçus ? « Vous portez des vêtements tissés en fibres contaminées ! », lance Graciela Gásperi, de l’institut argentin Incupo. René Louail, dirigeant paysan breton, rappelle que les volumes de soja OGM importés en Bretagne pour l’alimentation animale « ont mobilisé un million d’hectares sud-américains pour une région qui en cultive 1,6 million » (lire aussi « Produire sans OGM, c’est possible ! ») – un accaparement de terres qui ne dit pas son nom. Et l’invasion se poursuit dans le monde. En Colombie, un collectif signale « une menace récente apparue sur les semences natives, la contamination par des OGM qui occupent déjà 15 % des surfaces cultivées en maïs dans le pays ». Au Proche-Orient, rappelle l’écologiste libanaise Lilia Ghanem, la guerre a des conséquences catastrophiques pour la biodiversité des cultures et l’autonomie alimentaire. « En Irak, Monsanto et ses OGM sont arrivés avec les chars états-uniens ! » Dans cette région, berceau de plusieurs céréales, l’une des ordonnances « Bremer », laissées en héritage au pays en 2004, met les paysans, pour deux décennies encore, sous la coupe des multinationales de l’agro-industrie, l’obligation d’acheter des semences OGM supplantant l’ancienne interdiction de privatisation des ressources biologiques. Au Ghana, le mouvement Food Sovereignty Ghana mobilise une large part de la société civile depuis trois ans contre l’adoption d’une réglementation similaire.

Trop tard pour l’Argentine, qui est devenue une république transgénique depuis le milieu des années 2000. « Imaginez la moitié de la France, 24 millions d’hectares, soit 80 % des terres arables, cultivées en OGM, dont 20 millions d’hectares rien que pour le soja…, se désole Graciela Gásperi. Dans le Gran Chaco, deuxième écosystème en importance après l’Amazonie, on assiste à un crime contre la biodiversité. » Aux Philippines, où pourraient être menacées les quelque 200 variétés de riz recensées, le segment transgénique « riz doré » n’est toujours pas abandonné, bien que fortement combattu.

Qu’il s’agisse de plantes rendues résistantes à un herbicide, le Roundup de Monsanto, par exemple, dont on peut alors les asperger pour désherber alentour, ou de variétés manipulées pour produire leur propre insecticide, les cultures OGM génèrent des pollutions importantes, et parfois des ravages sanitaires soulignés dans presque toutes les interventions. « Les champs sont traités par avionnettes qui aspergent dans n’importe quelles conditions, passant en toute impunité au-dessus des maisons, des écoles, s’insurge Orlando Lemus Galacia, du réseau guatémaltèque Redsag. Dans le fleuve de La Pasión, 23 espèces de poissons ont disparu, un écocide ! »

Et puis on n’en est plus à de grossières manipulations, comme l’introduction d’un gène de poisson dans une fraise, s’alarme Guy Kastler. « La transgenèse procède aujourd’hui à des mutations accélérées via des procédés qui échappent à la définition originelle des OGM, et donc aux contraintes réglementaires qui leur sont attachées. » Le militant de la Confédération paysanne signale que les industriels des biotechnologies bataillent pour faire modifier les termes du Protocole international de Carthagène sur la biosécurité, afin de faciliter le brevetage de leurs interventions sur le vivant.

Lorient a fait une large place aux mouvements de défense des semences paysannes et de promotion de l’agroécologie. Et, coïncidence de dates, le terrain du droit livrait une victoire symbolique importante dix jours auparavant. Les cinq magistrats professionnels du « Tribunal Monsanto » citoyen ont rendu leur avis après l’examen des milliers de pages déposées par les plaignants et des témoins, en octobre dernier, à La Haye (lire aussi nos articles sur Politis.fr) : « oui », la firme a porté atteinte au droit international à un environnement sûr et durable, au droit à l’alimentation, à celui d’un meilleur état de santé ainsi qu’à la liberté de la recherche scientifique. Ce raisonnement juridique inédit a déjà des répercussions concrètes, signale Arnaud Apoteker, qui a coordonné le « Tribunal Monsanto » : la juge l’a évoqué lors de l’examen, fin avril, de la plainte en diffamation portée par le militant anti-OGM Christian Vélot, et la rapporteuse de la commission des droits de l’homme de l’ONU le mentionne dans un rapport sur les pesticides.

Écologie
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