Quand Édouard Philippe était élu local

Sur plus d’une dizaine d’années, Laurent Cibien a filmé le nouveau Premier ministre, qu’il connaît depuis la fin du lycée. Une démarche singulière et un regard original. Édouard, mon pote de droite est rediffusé ce soir sur France 3.

Jean-Claude Renard  • 16 mai 2017
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Quand Édouard Philippe était élu local
photo : Édouard Philippe au Havre en 2013.
© JEAN MARIE LIOT / DPPI

Je me suis mis à la boxe. Autant te dire que gaulé comme je suis, c’est pas facile, mais j’aime vachement ça. […] Mon entraîneur m’envoie alors un SMS : là, t’es juste avant le combat, t’es à la pesée. Et à la pesée, il faut montrer que t’es affuté. Donc, tu te concentres, tu prends ta garde et t’y vas. » À ce moment-là, fin 2013, en effet, Édouard Philippe part au combat, entamant sa campagne électorale pour les municipales du Havre.

Trois ans auparavant, Antoine Rufenacht avait démissionné en cours de son mandat pour confier son siège à son jeune adjoint. Laurent Cibien, le réalisateur s’explique d’emblée : « Lorsque je retrouve Édouard Philippe, en 2004, il est le plus proche collaborateur d’Alain Juppé à la direction de l’UMP. C’est un homme de l’ombre, un apparatchik. Peu de temps après, il doit laisser sa place aux partisans de Nicolas Sarkozy. Il décide alors de se consacrer pleinement à sa propre carrière politique. De temps en temps, je l’accompagne au Havre où il a commencé à s’implanter. »

Le dispositif est planté. Il s’inscrit donc dans la durée. De fait, Laurent Cibien suit à la trace son sujet, le filmant de près, de loin, tantôt dans l’intimité de son bureau, tantôt dans les réunions publiques.

« Sérieusement, on est entre nous », dit le politique au réalisateur. On rit, on se tutoie. Le film s’avance ainsi, sincère, sans langue de bois, dans un rapport de confiance, avec une certaine complicité, mais sans tomber dans l’empathie béate ni le portrait sans concession, concentrant la plus grande partie de ses images sur la campagne municipale de 2014.

« C’est un gauchiste, mais il est gentil quand même »

Dans une réunion de travail avec ses proches, Édouard Philippe présente le réalisateur qui est là en train de filmer : « Lui, il s’appelle Laurent Cibien. Il était à l’école avec moi […] C’est un gauchiste. Je vous préviens, c’est un vrai gauchiste, tendance écolo, ultragauche. Mais quand même, il est gentil, et surtout, il a décidé il y a dix ans qu’il allait à intervalles réguliers me filmer. N’ayez pas peur de me parler librement, pour une raison très simple, c’est qu’il n’a pas vendu son film. Il y a donc des chances assez raisonnables qu’il ne le vende jamais. Je ne contrôle pas son documentaire, il est suffisamment gauchiste pour ne pas m’obéir. »

Si Édouard Philippe est un petit-fils de docker communiste, tous deux se sont connus à Paris à la fin du lycée (année scolaire 1989/1990), à Janson-de-Sailly. Après quoi, les parcours, mis rapidement en parallèle à l’ouverture du doc, prennent les allures joyeuses du générique de Amicalement vôtre. L’un a fait la fac de Nanterre, l’autre Sciences-po, l’un a suivi le CFPJ, l’autre l’ENA, l’un est en Pataugas, l’autre noue des souliers vernis, ici les bureaux d’Arte, là le Conseil d’État. Ce qui donne le titre au film : Édouard, mon pote de droite.

Un documentaire nourri de résonances avec l’actualité, autour d’un personnage qui se dit « courageux mais pas téméraire ». Surtout au moment de dresser sa liste d’adjoints éligibles. « Il y a un élément central dans le pouvoir, c’est la capacité à nommer, décider des nominations. Le pouvoir du maire et de pouvoir constituer sa liste, c’est pouvoir choisir ses collaborateurs, dire à tel poste, ce sera lui, faire en sorte que ce sera lui, pas un autre. Ça, c’est un vrai élément de choix, de pouvoir d’autorité et de responsabilité parce que depuis Spiderman, on sait qu’avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités. » Avant de nommer, encore faut-il avoir une tactique politicienne, posséder une stratégie. « Mobiliser son électorat, démobiliser l’autre, dit-il à son équipe. Et vous pouvez le démobiliser en allant piquer chez lui des idées, des postures, des programmes. […] Ça permet d’aller siphonner. »

« Il faut pas être intelligent dans ce métier. Il faut savoir signer. »

Voilà un Édouard Philippe dilettante et calculateur à la fois, toujours accompagné de musique dans ses réflexions, rieur, loin de la gravité affichée aujourd’hui à un JT, déconnant, jusqu’à chanter du rock au-dessus de ses dossiers qu’il doit signer. « Il faut pas être intelligent dans ce métier. Il faut savoir signer. Parce qu’on signe énormément ! » Au bout de la campagne havraise (gagnée au premier tour, avec 52 % des voix), « ça se joue à un poil de bite », observe l’élu local, purement local, qui n’a rien de national, encore moins de dimension internationale.

« Un poil de bite »… Le voilà pourtant aujourd’hui Premier ministre. « Il est pas mal ton film », lance-t-il au réalisateur, goguenard, un brin moqueur. Un film qu’il pensait donc lui-même que le réalisateur ne parviendrait pas à vendre. Mauvaise pioche sur l’avenir. Entre l’abnégation du documentariste et celle de sa productrice, Barbara Levendangeur (aujourd’hui disparue) – ils ont conduit entretemps un autre documentaire, Monsieur M, 1968 (Arte) –, France 3 a acquis et diffusé une première fois Édouard, mon pote de droite, l’été dernier. Au générique de fin, Laurent Cibien annonce Mon pote de droite 2 : la primaire. La diffusion ne saurait tarder.

Édouard, mon pote de droite, de Laurent Cibien, ce mardi 16 mai, à 23 h 10, sur France 3 et en replay sur le site de France Télévisions.

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