Ce très droitier Monsieur Collomb

Le nouveau ministre de l’Intérieur a montré comme maire de Lyon combien sa gestion allie opportunisme économique et autoritarisme sécuritaire. Portrait du « premier macronien ».

Olivier Doubre  • 28 juin 2017 abonné·es
Ce très droitier Monsieur Collomb
© photo : Philippe HUGUEN/AFP

Tous ceux qui l’ont pratiqué à la mairie de Lyon ou à la communauté urbaine (devenue en 2015 la métropole du Grand Lyon) le soulignent d’emblée : Gérard Collomb est un homme autoritaire, capable de crises de colère épiques. L’un des collaborateurs du sénateur-maire de la deuxième ville de France tâchait ainsi, vers 2008, de gérer au mieux un dossier concernant un immeuble squatté par des Roms. Lorsqu’il informe Gérard Collomb du problème, celui-ci explose. « Quoi ? Des Roms ? Mais tu ne les connais pas ! Moi, je les connais. Les Roms, tu leur installes un chiotte ici, ils vont chier là-bas ! » Entre le maire de Lyon et les Roms, c’est une longue histoire de harcèlements, quand il ordonne, notamment, de creuser une tranchée de deux mètres de profondeur autour d’un campement en 2015 ou, l’été suivant, de fermer les points d’eau d’un square le long duquel sept familles roms s’étaient installées… Plus largement, comme le notait Le Monde au lendemain de son élection en 2001, Gérard Collomb s’est tout de suite placé en « champion de la lutte contre l’insécurité », au terme d’une campagne où l’une des priorités affirmées du candidat, alors PS, dans cette ville réputée à droite, avait été « la tranquillité publique ».

Vendredi 23 juin, après avoir présenté la veille, devant le conseil des ministres, le projet de loi transcrivant dans le droit commun certaines mesures de l’état d’urgence, source de forte inquiétude pour les libertés publiques [1], le ministre de l’Intérieur du gouvernement Philippe II mène au pas de charge une visite à Calais. Il y multiplie les déclarations de soutien aux forces de l’ordre, balayant du revers de la main les innombrables accusations et témoignages des militants associatifs sur les violences, humiliations et brimades commises par ses hommes en uniforme à l’encontre des migrants (voir ci-contre). « Pour agir avec humanité, il faut une grande fermeté ! Il n’y a pas d’un côté les policiers, les gendarmes, qui seraient agressifs et, de l’autre, des migrants qui seraient d’une douceur légendaire », ironise alors le ministre, avant d’expliquer qu’il est hors de question de laisser s’installer un « nouveau point de fixation » de réfugiés autour de Calais.

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La théorie dite de « l’appel d’air » a toujours été prisée par Gérard Collomb en matière d’immigration. Élu en 2008 comme membre de la « société civile » sur la liste du maire de Lyon lors de sa réélection, Olivier Brachet dirigeait depuis vingt-cinq ans l’association Forum réfugiés. Il est chargé du logement auprès de Gérard Collomb et espère pouvoir agir utilement dans ce domaine tout en poursuivant son action en faveur des migrants. Directeur de sa campagne en 2014, il suit l’édile au Grand Lyon en 2015, en qualité de vice-président de la métropole, mais démissionne très vite « car plus aucune discussion n’était possible face à la toute-puissance de la pensée collombienne ». Il confirme que celle-ci en matière d’immigration ne connaît que la peur de l’appel d’air : _« Sur ces sujets, il craint toujours que des mesures humaines provoquent un afflux. Sa conception, c’est : “Il ne faudrait pas qu’il en arrive trop !” » Surtout, l’ancien élu souligne que Gérard Collomb pense de la même manière les questions sociales : « Il a toujours été partisan de la politique de l’offre et du ruissellement de la richesse en matière économique, une politique qui est franchement de droite. En gros, il pense : “Soyons riches et les pauvres le seront moins !” Pour lui, la pauvreté, il faut la diluer dans les quartiers et la cacher. Les politiques sociales, dans son esprit, risquent donc d’alimenter des flux de pauvres vers Lyon. De ce point de vue, il n’y a pas de différence entre Laurent Wauquiez, président de la Région Auvergne/Rhône-Alpes, et lui. C’est pourquoi, s’il est pour le RSA, il pense qu’il faut forcer les gens à bosser en échange… »

Avocat, ancien maire adjoint des Verts, élu en 2001 sur la liste Collomb établie dans la lignée de la « gauche plurielle » avec le PS, le PCF et quelques militants associatifs locaux, Étienne Tête est ensuite devenu l’un des cauchemars du sénateur-maire en menant des recours contre la politique de grands travaux liés aux entreprises, en particulier celui du Parc Olympique lyonnais, le nouveau stade du club qui a mis dix ans à sortir de terre pour un coût exorbitant. Cette opposition lui vaudra le retrait sans ménagement de sa délégation sur ordre du maire. Selon lui, Gérard Collomb « a fait du Macron avant Macron. Après avoir mis des années à prendre la mairie, il part du principe, depuis le début, que comme Lyon est une ville de droite, il doit faire une politique de droite ». Étienne Tête est intarissable sur les cadeaux du maire aux grandes entreprises, entre terrains expropriés et cédés à bas prix, revendus par celles-ci au prix du marché autour de la gare de Perrache d’où est sorti l’un de ces quartiers d’affaires qui plaît tant à l’édile, jusqu’au tramway ne fonctionnant que les soirs de match, et qui permet aux supporters de rejoindre le nouveau stade.

Olivier Brachet souligne que « le maire navigue souvent à vue sur les dossiers, donnant une grande place aux sondages dans ses décisions. En matière de sécurité, il a longtemps refusé l’armement des policiers municipaux. Mais, après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, il change radicalement d’avis, pensant que les Lyonnais sont demandeurs ». Étienne Tête, désormais simple conseiller municipal, a alors demandé que ces policiers municipaux armés aient l’obligation d’un taux d’alcoolémie à zéro. Mais cela a été refusé au motif qu’une telle mesure « pourrait laisser penser qu’on boit dans la police municipale… » L’élu écologiste décrit, lui aussi, le sénateur-maire de Lyon comme « un personnage opportuniste, sans retenue en matière de sécurité, avec une passion pour la vidéosurveillance, ce qui a coûté des sommes considérables sans aucun rapport avec les résultats obtenus. Mais c’est bon pour sa communication, ce qui est l’alpha et l’oméga de sa politique ! ». Le programme de vidéosurveillance à Lyon, à l’initiative de son prédécesseur, Raymond Barre, fait de la ville l’une des plus dotées en caméra, aussi bien dans les transports que dans les espaces publics. Sans grandes conséquences sur les taux de délinquance, sensiblement les mêmes que dans les autres grandes villes françaises.

Enfin, son goût pour les « réussites économiques » est connu de tous les Lyonnais. L’ancien professeur de lettres, élu conseiller municipal d’opposition en 1977, qui va profiter de la « vague rose » de 1981 en devenant député (mauroyiste, déjà à la droite du PS), avant de subir une longue traversée du désert de 1986 jusqu’à 1995, où il est élu maire du IXe arrondissement de Lyon, aime à déjeuner ou aller jouer au golf avec de brillants chefs d’entreprise. Fasciné par le monde des affaires, Gérard Collomb est un ambitieux, dont « le seul intérêt politique, c’est le pouvoir et sa reconnaissance », glisse Olivier Brachet, non sans ajouter : « Il ne discute jamais, c’est du temps perdu, puisque ce que décide le chef est toujours parfait. » D’où son goût pour les combinaisons politiques au Grand Lyon, où il ne cesse de faire les yeux doux aux maires sans étiquette ou de droite, lesquels donnent leurs voix contre l’assurance pour leurs communes d’être bien desservies en transports publics. « C’est un système quasiment tribal, avec des mercenaires achetés », explique, amer, l’ancien élu. Ne négligeant aucune opération de communication, Gérard Collomb a pris, au lendemain de son élection à la mairie en 2001, des arrêtés anti-prostitution, ce qui a sans doute ravi une partie des Lyonnais, mais a repoussé plus loin les prostituées, toujours plus en danger et sans soutien. Une mesure à l’efficacité contestée, le maire devant faire marche arrière au bout de quelques années.

Aujourd’hui ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb est au faîte de sa gloire. « Il cherchait la reconnaissance de Paris depuis des années, il l’a enfin, après tant d’attente, ajoute Olivier Brachet. Macron a fait d’un vieux monsieur à la pensée éculée un ministre d’État. » Quant à Étienne Tête, il s’interroge sur les personnalités les plus dangereuses en politique : « Sont-ce celles qui ont des convictions et ne veulent à aucun prix en dévier ? Ou plutôt, comme Collomb, celles qui n’ont pas de convictions et sont, du coup, capables de tout, sans aucune limite ? » Bonne question…

[1] Cf. la tribune de Laurence Blisson, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, dans Politis n° 1458 (15 juin 2017)

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