École : retour à quatre jours ?

Un décret envisagé pour le 28 juin prévoit de laisser aux communes la liberté de revenir sur la réforme des rythmes scolaires. Le débat reprend dans la précipitation avant la rentrée.

Ingrid Merckx  • 28 juin 2017 abonné·es
École : retour à quatre jours ?
© photo : AMÉLIE-BENOIST/BSIP/AFP

Quatre ou quatre jours et demi d’école par semaine ? À peine quatre ans après l’entrée en vigueur des nouveaux rythmes scolaires, le débat reprend. Non que l’Éducation nationale ait pris le temps de réaliser un bilan. Mais Emmanuel Macron, qui avait fait de l’assouplissement de cette réforme une promesse de campagne, passe à l’acte par l’entremise de Jean-Michel Blanquer, son ministre de l’Éducation nationale. Devait paraître le 28 juin un décret autorisant les villes à assouplir les rythmes scolaires. C’est-à-dire à revoir l’organisation de la semaine jusqu’à pouvoir revenir à 4 jours, modèle mis en place par Xavier Darcos en 2008, et remis en cause par Vincent Peillon en 2013 dans le cadre de sa loi sur la refondation de l’école. Dans un contexte de baisse des dotations aux collectivités, le retour à la situation ante est tentant pour celles qui n’ont pas trouvé de fonctionnement convaincant ou abordable et qui pourront assumer de licencier les personnels recrutés en sus. La tentation est d’autant plus forte qu’elles peuvent s’appuyer sur une bonne partie des enseignants, lesquels plébiscitent un retour à la semaine de 4 jours.

« Les enseignants veulent bien travailler le mercredi ! Mais à condition que ce soit bénéfique en termes d’apprentissage pour les élèves et que cela ne se fasse pas au détriment des temps de concertation entre enseignants », fait savoir Francette Popineau, présidente du Snuipp, qui représente 40 % des enseignants du premier degré. C’est ce qui ressort d’une enquête publiée par le syndicat le 21 juin, et dans laquelle plus de 75 % des enseignants interrogés se disent favorables à un retour à 4 jours, avec un tiers acceptant de réduire leurs vacances. « On manque de recul !, avertit Liliana Moyano, présidente de la FCPE. Pourquoi tant se précipiter ? Certaines villes commencent à peine à trouver la bonne formule. Et que signifie leur “laisser la liberté de” quand il s’agit de repenser tous les temps éducatifs avec tous les acteurs concernés ? » « La décision ne reviendra pas aux villes mais au directeur académique des services de l’Éducation nationale (Dasen). Donc à l’Éducation nationale, rassure Francette Popineau. De quoi limiter la pression budgétaire et faire prévaloir l’intérêt des enfants », espère-t-elle.

C’est en tout cas ce qui a poussé le Snuipp à s’exprimer en faveur du prochain décret, « qui ne défend pas un retour à la semaine de 4 jours mais un assouplissement pour les villes où la situation est trop tendue », précise Francette Popineau. Rares sont celles qui pourront revenir à la semaine de 4 jours dès septembre 2017. Sauf exception, comme à Nice, où Christian Estrosi a tweeté depuis le conseil municipal du 23 juin : « Nous pouvons aujourd’hui annoncer être les premiers à revenir à la semaine de 4 jours. » Marseille a fait marche arrière. Et pour cause : revenir à 4 jours dès septembre suppose de comprimer d’ici au 14 juillet un calendrier de réunions et de décisions. Il faut en effet s’appuyer sur un vote du conseil d’école – qui réunit enseignants, responsable d’établissement, représentants de la mairie, parents d’élèves, intervenants… – et le faire remonter au Dasen puis au conseil départemental de l’Éducation nationale. Excepté les villes où les discussions auront eu lieu en amont, tenir de tels délais en cette fin d’année chargée en conseils de classe et autres rendez-vous avec les parents relève de la mission impossible. « Les conseils d’école qui se sont réunis par anticipation se sont exprimés sur la base d’un texte qui n’était pas encore publié… », prévient Liliana Moyano.

Plusieurs villes de la région bordelaise se seraient prononcées pour un retour à 4 jours. Dont Le Bouscat, qui juge la réorganisation faisable dès la prochaine rentrée pour ses 1 650 élèves. D’après son maire, Patrick Bobet, la réforme coûte 400 000 euros à la commune, une fois déduits les 50 000 euros d’aides de l’État. Dans 22 grandes villes de France, la réforme aurait engendré 2 millions d’euros de dépenses, selon l’Association des maires de grandes villes de France. « Il ne faudrait pas que l’État renoue avec cette vieille méthode d’imposer unilatéralement et dans la précipitation de nouvelles dispositions qui impactent au premier chef les collectivités locales », a averti le président de l’association France urbaine et maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc. « Quand il est venu au congrès de la FCPE, Emmanuel Macron s’est engagé à ne pas défaire par principe ce que ses prédécesseurs avaient fait, proteste Liliana Moyano. Tous les pays qui réorganisent leur école savent que ce sont des processus qui prennent dix, quinze ans, et doivent être protégés des jeux d’alternance ! »

La France est loin d’un consensus sur les rythmes scolaires. « Ce décret permet à tous de se remettre autour de la table », souhaite Francette Popineau. La FCPE a déjà entamé une campagne en faveur des « 5 matinées ». « Face aux organisations syndicales, elles-mêmes divisées, nous étions isolés lors du vote au Conseil supérieur de l’Éducation, le 8 juin, en vue du décret, reconnaît Liliana Moyano. Pour la semaine de 4 jours, on n’entend que l’intérêt des adultes : enseignants qui préfèrent ne pas faire classe le mercredi ou parents qui veulent des grands week-ends… » La France est le pays d’Europe où les enfants ont le moins de jours d’école : 144 par an. Soit presque 40 de moins que la moyenne, la semaine la plus déséquilibrée et deux mois de vacances d’été. « Nous demandons donc à revoir non pas la semaine mais le calendrier scolaire annuel,rappelle la présidente de la FCPE_. Et qu’on ne nous parle pas de la fatigue des enfants quand le zonage profitable au tourisme impose ce trimestre 12 semaines de classe aux élèves de zone C ! »_ Un rapport « transpartidaire » du Sénat, paru le 8 juin, déconseille le retour à 4 jours. La ligne 4,5 jours d’école reste défendue par les chronobiologistes (voir notre entretien avec Claire Leconte), qui mettent en garde contre le saucissonnage des temps ; les ruptures de rythmes sont appuyées par les mouvements d’éducation populaire, partenaires des temps éducatifs. _« Combien d’emplois créés avec la réforme ? », interroge Liliana Moyano, qui rappelle que Jean-Michel Blanquer est aussi ministre de la Vie associative.

L’organisation sur 4,5 jours est « stabilisée », « après un travail de longue haleine », observe Jean-Luc Moudenc. La question brûlante restant la pérennisation des aides de l’État. « Comment vont faire les maires qui voudront continuer sur 4,5 jours mais ne recevront plus d’aide ? », interroge Agnès Le Brun, vice-présidente de l’Association des maires de France et maire de Morlaix. Soit 90 euros par élève pour les communes qui bénéficient de la dotation de solidarité et l’outre-mer. Mais le coût annuel moyen par enfant en nouvelles activités périscolaires (NAP) serait de 161 euros, selon l’Association des maires de France.

« Pour compléter l’aide de l’État, la CAF a débloqué une enveloppe de 400 millions d’euros qui n’aurait été utilisée qu’à 50 % », s’étonne Liliana Moyano. La FCPE alerte sur le risque de territorialisation de l’école. Le vrai débat de fond portant sur le contenu du cadre national. « Autonomie est un joli mot, mais employé par les libéraux, il signifie rapidement accroissement des inégalités », convient Francette Popineau. « La réforme des rythmes n’a pas créé les inégalités territoriales mais elle les a mises en lumière, appuie Liliana Moyano. Or, ce sont les enfants les plus défavorisés qui en pâtissent le plus : ceux des familles aisées restent stimulés par des activités extrascolaires. L’intérêt de la réforme était de permettre à tous de participer à des activités éducatives, pas seulement à 20 %. » Le décret prévu le 28 juin provoquerait, en neuf ans, le troisième changement de rythmes pour les écoles, et toutes les organisations – familiales, associatives, municipales – qui en découlent.

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