Farida Amrani : Celle qui veut faire valser Valls…

Inconnue du grand public, l’insoumise Farida Amrani pourrait s’imposer comme la tombeuse du député sortant d’Évry.

Pauline Graulle  • 7 juin 2017 abonné·es
Farida Amrani : Celle qui veut faire valser Valls…
© photo : DR

U ne maman de trois filles. » Voilà ce que répond invariablement Farida Amrani à la question : « Qui êtes-vous ? » Manière de faire comprendre aux journalistes qui la découvrent qu’elle incarne l’exact opposé de l’apparatchik dont elle lorgne le siège à l’Assemblée nationale : Manuel Valls.

Dans la très symbolique bataille Amrani-Valls sur la première circonscription de l’Essonne, le camp Amrani fait valoir son avantage : jouer à fond la carte du story-telling. Le côté « David contre Goliath » rencontre un écho auprès d’un public de plus en plus tenté par le dégagisme. Quitte à forcer un peu le trait si besoin : Amrani la fonctionnaire, mère-courage de 40 ans, versus Valls le notable de la politique politicienne, qui a passé trop de temps sous les lambris du pouvoir. Elle la candidate des quartiers, habitante des Aunettes – une petite cité d’Évry ; lui le député-maire qui voulait plus de « whites » dans son fief de l’Essonne. Elle l’immigrée marocaine musulmane ; lui le néoconservateur favorable à la déchéance de nationalité. Elle le peuple ; lui l’oligarchie.

La voilà donc, la fille du « peuple » : souriante, pimpante. Elle est assise avec son suppléant, Ulysse Rabaté, à une terrasse du Palais, un café situé à côté de l’Agora, le centre commercial avec théâtre intégré qui faisait jadis la fierté des habitants de la ville nouvelle. Aujourd’hui, la préfecture de l’Essonne est davantage connue pour ses guerres de gangs et le chômage endémique de ses jeunes que pour sa scène nationale. Farida Amrani ambitionne de faire connaître sa ville d’une autre manière : en en faisant l’endroit d’où est partie la reconquête à gauche.

Au départ, Jean-Luc Mélenchon, qui connaît trop bien les arcanes méandreux de la politique du 91, l’a gentiment traitée de « folle ». Qu’allait-elle faire dans cette galère ? C’était mal connaître Farida Amrani, qui, dit-elle, n’a « peur de rien ». Surtout pas de la clique de Valls, qu’elle avait, pour une fois, contraint à un second tour aux municipales de 2014. Tête de liste pour le Front de gauche, elle avait alors fait près de 20 % et obtenu 4 sièges au conseil municipal. Déjà un exploit, vu le contexte. Aujourd’hui, un sondage la donne à 50 %, au coude à coude avec Valls, le 18 juin prochain [1]. L’« effet Mélenchon », arrivé en tête à la présidentielle sur la circonscription, y est évidemment pour beaucoup. Résultat, son visage figé mange quasiment tout l’espace sur l’affiche de campagne.

Wonder Woman

Elle-même surprise de l’improbable tour qu’a pris sa campagne, Farida Amrani veille à garder la tête froide. Peut-être parce qu’une légère angoisse la traverse quand elle imagine le changement de vie que ce serait si elle entrait au Palais-Bourbon. Et puis parce que, si « Monsieur 49-3 » n’est pas en odeur de sainteté à Évry, dont il fut pourtant le maire adoré à ses débuts, cinq des six villes (Évry, Corbeil, Lisses, Courcouronnes, -Bondoufle et Villabé) de la circonscription sont à droite.

La bataille s’annonce donc rude. Mais l’insoumise a remporté le premier round. C’est qu’entre son échec à la primaire et la veste qu’il a prise quand il a demandé l’investiture d’En marche ! – qui ne lui oppose néanmoins pas de candidat –, Manuel Valls n’est, paraît-il, plus que l’ombre de lui-même. Quelque chose semble s’être effondré en lui. Il a ravalé sa morgue. Daigne désormais saluer ses opposants sur les marchés, qu’il ne fréquente plus beaucoup, par peur d’en prendre plein la figure. Ça lui ferait presque un peu de peine, à Farida Amrani. Elle qui n’a pas encore le cœur asséché des « pro » de la politique…

C’est dans le syndicalisme que cette titulaire d’un BTS transport a fait ses premières armes. Au début des années 2000, elle rejoint la communauté d’agglomération Cœur d’Essonne et y crée, quasiment ex nihilo, une section syndicale CGT. Son but : défendre le service public, ses valeurs et, surtout, ses collègues. « Ce que je ne supporte pas, c’est quand les gens ne sont pas traités à égalité », dit-elle.

Rapidement, la syndicaliste devient une figure du siège de Sainte-Geneviève-des-Bois. Sa collègue de la CGT, Sandrine, loue sa « connaissance des lois sur le travail, son aptitude à mobiliser, sa capacité à ne jamais rien lâcher ». Elle rappelle ses cinq années d’efforts pour obtenir de la direction qu’elle verse aux agents une prime annuelle de 1 800 euros. Ou son rôle dans la grève des éboueurs qui a mené à la victoire. « Si Farida devient députée, elle va nous manquer à l’agglo », sourit Sandrine, qui n’a que des jolis mots pour sa copine, une « Wonder Woman » qui ne compte ni ses heures ni ses kilomètres quand il s’agit d’aller aider un camarade.

« Farida a l’intelligence de la lutte : elle a l’esprit de système et sait repérer qui sont les bonnes personnes à mobiliser », ajoute Charlotte Girard, une très proche de Mélenchon, candidate dans la circonscription voisine, qui l’a connue sur des mobilisations locales.

Culot et dilettantisme

À Évry, tout le monde n’est pas aussi dithyrambique. Ses anciens amis du Front de gauche, notamment. Après l’aventure collective de 2014, Farida Amrani aurait joué perso. Se rapprochant, sans demander l’avis de ses camarades, de Bruno Piriou, opposant (ex-PCF) de Serge Dassault à Corbeil, et de son poulain de 30 ans, Ulysse Rabaté, devenu le suppléant de la candidate – depuis, les deux ne se quittent plus d’une semelle. « Elle nous a lâchés par opportunisme », grince Samir Benamara, qui lui avait mis le pied à l’étrier en 2014, pour devenir ensuite son directeur de campagne aux municipales.

Trois ans plus tard, la déception est grande. La désignation de Farida Amrani aux législatives a fait beaucoup de bruit dans la gauche locale. Les groupes locaux d’insoumis ainsi que le PCF s’étaient mis d’accord pour proposer le communiste Michel Nouaille à l’investiture de la France insoumise. Aujourd’hui, celui-ci accuse l’état-major de Mélenchon d’avoir cédé aux pressions de Bruno Piriou pour imposer à sa place le ticket Amrani-Rabaté.

S’il a refusé de retirer sa candidature – soutenue par EELV et Benoît Hamon –, Michel Nouaille votera néanmoins Amrani au second tour, mais à contrecœur : « Nous, on a joué la transparence et la collégialité, ce n’est pas son cas. »

« C’est quelqu’un de bien, mais elle est trop dans l’affect, trop dans la séduction », ajoute Samir Benamara, qui lui reconnaît du « culot », mais aussi pas mal de dilettantisme comme présidente du groupe d’opposition au conseil municipal d’Évry. Et, finalement, une « éthique » toute relative : or, « ça ne se fait pas quand on dit qu’on veut faire de la politique autrement », juge-t-il.

Elle, pourtant, assure tranquillement qu’elle déteste la politique politicienne. Aime à raconter que, si elle est tombée dedans, c’est par la faute de Francis Chouat – le maire remplaçant de Valls : « C’était lors d’une réunion de parents d’élèves sur la mise en place des nouveaux rythmes scolaires. Il m’a dit : “Si vous n’êtes pas contente, vous n’avez qu’à vous présenter !” » Dont acte.

Toute citoyenne qu’elle est, Farida Amrani n’en demeure pas moins entourée par de fins politiques. À commencer par son directeur de campagne, Bruno Piriou, qui a bien compris l’intérêt de nationaliser la campagne. D’où ce texte, signé par plusieurs dizaines d’intellectuels comme Annie Ernaux, Patrick Chamoiseau ou Didier Eribon, en faveur d’Amrani et de Rabaté, devenus les jeunes héros de la lutte contre « le clientélisme de Serge Dassault et les agissements de Manuel Valls ».

Il faut dire que le casting est impeccable. Le trentenaire en chemise décontracté, la mère de famille issue de l’immigration. Farida Amrani, une candidate sur papier glacé ? « On est tous là, en regardant cette Assemblée, à se dire qu’il y a trop d’hommes blancs de plus de 50 ans, alors oui, les symboles, ça compte ! », s’exclame Bruno Piriou.

Dans le fond, l’élu de Corbeil voit dans la candidature Amrani-Rabaté la possibilité d’ouvrir une brèche. De faire prendre conscience au peuple qu’il peut reprendre le pouvoir. « C’est sur le désespoir politique que naît la corruption, que l’horizon se referme sur l’obole que nous verse un milliardaire. S’ils étaient élus, ça enverrait le message que ce n’est qu’un début. » En attendant, ils continuent le combat.

[1] Sondage Ifop/Fiducial pour le Journal du dimanche et Sud Radio, 28 mai.

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