Grenoble, entre logiques locale et nationale

Dans la seule ville de France dirigée par une alliance EELV, Parti de gauche et citoyens, la gauche part divisée aux législatives. Tiraillée par des enjeux contradictoires, elle risque de tout perdre.

Nadia Sweeny  • 7 juin 2017 abonné·es
Grenoble, entre logiques locale et nationale
© photo : Gilles LANSARD / Photononstop / AFP

C’est toute la difficulté des élections législatives : faire une campagne locale pour servir une orientation nationale. En cas de désaccords politiques, ce double enjeu apparaît comme une redoutable machine à diviser. À Grenoble, terre de gauche, Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête du premier tour de la présidentielle (28,9 %). De peu puisqu’il ne devançait Emmanuel Macron que de 154 voix. Juste ce qu’il faut, cependant, pour conforter une majorité municipale atypique (EELV, PG, Ensemble !, Nouvelle Donne et citoyens) qui a fait de cette ville de 160 000 habitants, depuis 2014, le laboratoire d’une union innovante et prometteuse. Mais, aux législatives, Grenoble est divisée en deux circonscriptions (la 1re et la 3e de l’Isère) qui englobent, chacune, quelques communes alentour. Et, dans l’une comme dans l’autre, la majorité municipale se présente en ordre si dispersé qu’on peine à comprendre ce qui justifie d’en être arrivé là. D’autant que, dans cet émiettement, apparaissent des rapprochements nouveaux.

« La rupture à gauche date de l’élection municipale de 2014 : la liste PS [soutenue par le PCF, NDLR] et la liste d’union d’Éric Piolle (EELV) se sont retrouvées en opposition sans qu’il y ait désistement, se souvient Soukaïna Larabi, militante socialiste hamoniste de 23 ans, candidate soutenue par le maire de Grenoble dans la 3e circonscription. Cela a été traumatisant pour la gauche locale. Le PS s’est mis dans une posture d’opposition et y est resté jusqu’en 2017. » Puis la primaire socialiste a accouché de « la surprise Hamon », qui « a rouvert des cadres de débat entre EELV et l’aile gauche du Parti socialiste ». Au point d’aboutir à des candidatures communes pour les 11 et 18 juin. Notamment sur la 3e circonscription, où Soukaïna Larabi a le soutien d’EELV contre le socialiste Michel Destot, ancien maire de Grenoble (pendant dix-neuf ans), député depuis 1988, réputé « Macron-compatible ». Candidat à sa succession pour un septième mandat, ce dernier a face à lui une candidate investie La République en marche (LREM), Émilie Chalas, directrice générale d’une mairie de droite. Il prétend avoir toujours été « fidèle à sa famille politique », tout en fustigeant le choix de Benoît Hamon d’avoir pris dans son équipe de campagne « un adjoint au maire de Grenoble clairement opposé à la ligne Lyon-Turin », dont lui est un ardent défenseur.

Sur la réalité locale, viennent donc se greffer les déchirures nationales. Si Soukaïna Larabi a reçu le soutien officiel de Christiane Taubira, Benoît Hamon se fait plus discret. Certes, il soutient dans la 1re circonscription Nicolas Kada, professeur de droit public, candidat d’« Ensemble pour gagner », la formation de Soukaïna Larabi, portée par le maire EELV de Grenoble. Mais Nicolas Kada est non encarté et n’a pas de candidat socialiste à proprement parler en face de lui. Le député PS sortant, Olivier Véran, s’étant rallié à LREM, c’est Éric Grasset, du Parti radical de gauche, qui a repris le flambeau. Benoît Hamon peut donc se permettre de soutenir son adversaire sans trop irriter les ténors socialistes. C’est différent pour Soukaïna Larabi, qui se présente face à Michel Destot, conseiller national du PS, personnellement soutenu par Anne Hidalgo et Bernard Cazeneuve. Au bureau fédéral du PS, on insiste : « Benoît Hamon ne soutient pas Soukaïna Larabi ! » Cette dernière fait d’ailleurs l’objet d’une mesure d’exclusion.

Cet éclatement du PS n’a toutefois pas permis le rassemblement des organisations de gauche. Pourtant, les discussions s’étaient amorcées dès décembre 2016, notamment autour d’une candidature d’union dans la 3e circonscription, en la personne de Mathilde Dupré, militante contre l’évasion fiscale, non encartée. « Mon profil de candidate citoyenne, issue des quartiers populaires, apportait un gage de rassemblement qui pouvait mettre chaque parti à égalité, se souvient-elle. Mais les discussions ont peu porté sur le fond : il a été principalement question d’appareils et de visibilité des logos. » Les tractations vont se poursuivre jusqu’à la dernière semaine, sans jamais aboutir. « Mathilde Dupré n’a pas voulu signer la charte de la France insoumise, il était impossible qu’elle en soit la candidate », tranche Raphaël Briot, médecin-chercheur, candidat de la FI. Elle s’est retirée.

Éric Piolle, maire EELV de Grenoble, qui avait pourtant appelé à voter pour Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle, veut poursuivre ce qu’il appelle sa dynamique « de rassemblement de l’espace écologiste, citoyen et humaniste de gauche » autour des candidatures de Nicolas Kada et de Soukaïna Larabi. « Nous avons discuté jusqu’au bout avec la France insoumise et Jean-Luc Mélenchon lui-même, affirme-t-il. La charte n’était pas un obstacle, mais la FI voulait des candidats issus de ses rangs, derrière lesquels il fallait se ranger : c’est une logique de camps. » À la FI, Raphaël Briot met en avant « le programme » et veut « parler du fond : les politicailleries d’apparatchiks, ça me hérisse le poil, mais on essaie de ne pas se fâcher »… en vue du second tour.

Du côté du Parti communiste, « les militants voulaient être représentés, explique Jean-Paul Trovero, candidat PCF. On s’est déjà effacés pendant la présidentielle… Nous étions prêts à laisser la 3e circo, à condition que la FI nous laisse la 2e, où David Queiros, maire PCF de Saint-Martin-d’Hères, peut gagner. Ils ont refusé. » Colère des communistes, d’autant que la majorité municipale de David Queiros rassemble des communistes, des socialistes et le Parti de gauche. Un mélange d’union de la gauche dont la principale opposition est… une autre union de la gauche, comprenant des socialistes et des Verts. Jean-Paul Trovero, maire de Fontaine, a lui aussi une majorité d’union avec le PG, qui a pour opposition un groupe… EELV. Difficile, dans ces conditions, de s’allier avec les Verts.

Les imbroglios locaux et nationaux ont donc eu raison de toute union à gauche. Pire, la campagne impacte directement la fragile union grenobloise. Depuis qu’Éric Piolle a qualifié Jean-Luc Mélenchon de « caporal de forteresse », Alan Confesson, coprésident (PG) du groupe majoritaire au conseil municipal, est vent debout. « Nous étions convenus de préserver une ambiance sereine lors des législatives. Les bornes ont été dépassées et la prise de position de notre maire est loin de faire consensus au sein du groupe majoritaire, explique-t-il au Dauphiné libéré (2 juin). Surtout, elle risque de laisser des traces et d’avoir des conséquences pour la suite. » Le ver de la discorde est dans la pomme.

« Les gens se posent beaucoup de questions sur la nouvelle majorité municipale », affirme Michel Destot pour justifier un septième mandat. À Grenoble, les élections législatives sont devenues un enjeu municipal. À croire que plus la gauche est présente, notamment à la tête des collectivités territoriales, plus elle se divise. La malédiction de l’exercice du pouvoir ?

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