Le jeune Bob Dylan

Marie Rémond et Sébastien Pouderoux reconstituent pour la Comédie-Française l’enregistrement de « Like a Rolling Stone ».

Anaïs Heluin  • 14 juin 2017 abonné·es
Le jeune Bob Dylan
© photo : DR

Marie Rémond n’a pas attendu l’attribution du prix Nobel à Bob Dylan pour faire entrer le chanteur-compositeur au Français. Lorsque Éric Ruf, qui vient alors de prendre la tête de la maison, la sollicite pour un spectacle court, la metteuse en scène saisit l’occasion pour poursuivre son travail sur les icônes populaires. Après une création sur le tennisman André Agassi et une autre sur Barbara Loden, épouse d’Elia Kazan et réalisatrice d’un unique et fameux film, Wanda, elle s’associe avec son complice de longue date Sébastien Pouderoux et crée Comme une pierre qui… en 2015 au Studio-Théâtre de la Comédie-Française. Elle y donne à voir la légende du rock à un tournant de sa carrière. Soit le 16 juin 1965 au Studio de Columbia Records, lors de l’enregistrement de « Like a Rolling Stone ».

Entouré de musiciens qu’il n’a jamais vus, à l’exception de Mike Bloomfield (Stéphane Varupenne), qui lui sert d’intermédiaire, Dylan n’a alors pas grand-chose de la star que l’on connaît aujourd’hui. À 24 ans, malgré quelques tubes comme « Blowin’ in The Wind », il souffre de l’image d’artiste engagé que lui ont valu des chansons comme « Masters of War », critique du complexe militaro-industriel américain en pleine crise des missiles à Cuba, et sa participation, le 28 août 1963, à la Marche sur Washington pour les droits civiques des Noirs américains. Il n’a rien écrit depuis des mois, sauf un texte sans titre de vingt pages. Un long poème sur une jeune femme qui quitte tout pour trouver sa liberté. Et qui finit sur le trottoir.

Si Marie Rémond remplit les vides laissés par l’histoire avec quelques éléments de fiction, elle s’appuie largement sur le livre Bob Dylan à la croisée des chemins, du critique de rock Greil Marcus, qui documente avec précision la naissance de la chanson mythique. Jusque dans ses hasards et ses ratés. Et ils sont nombreux. Sur les vingt-quatre prises très différentes réalisées pendant l’enregistrement, les quinze que relate l’auteur sont jouées en direct par six acteurs musiciens de la troupe de la Comédie-Française. Loin d’affaiblir la légende, ces tâtonnements la nourrissent. De même que le choix de les donner à voir à travers le regard du plus inexpérimenté des musiciens présents ce jour-là : le jeune guitariste Al Kooper, venu assister le producteur Tom Wilson (Gilles David), qui vient de travailler sur « The Sound of Silence », de Simon et Garfunkel.

Christophe Montenez est un Kooper qui égale en grotesque et en subtilité le Dylan dandy et quasi mutique de Sébastien Pouderoux, multipliant les maladresses autant que les audaces pour finalement être intégré au groupe. Mi-naïf mi-critique, ce personnage offre à la metteuse en scène une précieuse liberté face à l’histoire. D’où une forme d’irrévérence joyeuse qui traduit bien l’esprit du rock de l’époque, et laisse deviner l’ampleur que prendront par la suite les Rolling Stones. En échappant à toute tentation d’imitation des artistes qu’ils incarnent, les comédiens de Comme une pierre qui… disent beaucoup plus que l’émergence d’une star : l’aube d’une poésie.

Comme une pierre qui…, Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Galerie du Carrousel du Louvre, 99, rue de Rivoli, 75001 Paris. Jusqu’au 2 juillet, 01 44 58 15 15. www.comedie-francaise.fr.

Théâtre
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