Loi travail : alerte à l’enfumage

Le contenu de la loi d’habilitation par ordonnances, examinée le 28 juin, laisse une grande marge de manœuvre au gouvernement et confirme les pires inquiétudes des syndicats.

Erwan Manac'h  et  Malika Butzbach  • 28 juin 2017 abonné·es
Loi travail : alerte à l’enfumage
© photo : Michel Euler/AFP

Énième épisode qui dessine de manière encore plus floue ce que sera la « loi travail XXL » d’Emmanuel Macron. Nous connaissons désormais les grandes lignes du « projet de loi d’habilitation », que le conseil des ministres devait examiner le 28 juin, autorisant l’exécutif à prendre « des mesures pour la rénovation sociale ». Le titre vague, les articles courts et synthétiques correspondent à la nature de ce type de texte. Et cela ne rassure pas lorsque l’on sait que c’est celui-ci qui donnera naissance à une réforme profonde du droit du travail d’ici à la fin du mois de septembre. Dans les six pages se bousculent les propositions plus ou moins attendues avec, pour seul point commun, leur imprécision.

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Première mesure emblématique, déjà censurée par le Conseil constitutionnel et retirée de la première loi travail l’an dernier sous la pression de la rue : la « barèmisation » des dommages et intérêts aux prud’hommes. Cette mesure, la plus impopulaire au sein des syndicats, vise à établir « des planchers et des plafonds obligatoires » aux dommages et intérêts lorsqu’un licenciement est considéré comme abusif par le tribunal des prud’hommes. Selon le texte, il s’agit de « renforcer la prévisibilité des employeurs lorsque ceux-ci se séparent de leurs salariés ». Autrement dit, les employeurs connaîtront le coût d’un licenciement illégal avant même de commettre la fraude. De même, les salariés licenciés sauront combien ils toucheront avant que le jugement ne soit rendu, ce qui pourrait les dissuader de porter plainte s’ils sont confrontés à des irrégularités de licenciement. La justice prud’homale sera également attaquée, à en croire le projet de loi d’habilitation, avec une réduction des délais de recours. Actuellement, le salarié dispose d’un an pour contester son licenciement devant les prud’hommes, une incertitude insupportable pour le patronat. Si, dans les précédentes versions ayant fuité dans la presse, le délai de deux mois était avancé, ce projet de loi ne mentionne aucune durée.

Dès le premier article, on retrouve un autre leitmotiv de la précédente loi travail : le référendum d’entreprise. Le texte souligne la volonté de simplifier « les modalités de conclusion d’un accord, facilitant les conditions de recours à la consultation des salariés pour valider un accord ». Encore une fois, les mots sont vagues. Cela signifie-t-il que l’employeur aurait la possibilité d’initier un référendum ? Cette mesure avait été écartée de la loi El Khomri, laissant l’initiative aux syndicats représentant au moins 30 % des salariés. À propos des syndicats, l’article 2 vise à « favoriser les conditions d’implantation syndicale », un beau projet, peu précis, qui s’inscrit dans la mise en place d’une « nouvelle organisation du dialogue social dans l’entreprise ». Mais, comme souvent, le diable se cache dans les détails. La nouvelle organisation, au singulier donc, laisse place à l’autre disposition du texte : la fusion des instances représentatives du personnel. Ainsi, le comité d’entreprise, les délégués du personnel et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) devraient être fusionnés en une seule et même instance. Ce qui se traduirait par une diminution du temps syndical, mais aussi par une baisse du nombre de salariés mandatés, et donc protégés contre les licenciements.

Mais le texte dévoile aussi des mesures qui apparaissent relativement nouvelles, ou, pour le dire autrement, qui n’étaient pas dans les documents dévoilés par la presse. Ainsi, si le candidat Emmanuel Macron avait promis en mars un « moratoire du compte pénibilité », il avait cependant souligné un temps de concertation sur cette mesure. Il faut croire que la concertation a été rapide, puisque l’on retrouve la volonté de simplifier « les obligations de déclaration » des employeurs, tenus de dire si leurs salariés sont exposés à des facteurs de pénibilité. Le texte précise aussi que « les conditions d’appréciation de l’exposition à certains facteurs » seront définies à compter du 1er janvier 2018, ce qui laisse présager une modification de la législation actuelle, dont l’application a déjà été remise en cause par certains dirigeants d’entreprise.

Autre cadeau au patronat : si ce texte est adopté, le gouvernement pourra légiférer sur les conséquences des avis d’inaptitude. De manière vague, cela permet à l’exécutif de modifier « les obligations de l’employeur en matière de reclassement pour inaptitude ». Les modalités prévues pour contester un « avis d’inaptitude », rendu par la médecine du travail, seront aussi modifiées. Un pouvoir supplémentaire pour les patrons qui délégitime un peu plus les médecins du travail, déjà considérablement affaiblis.

Alors qu’il s’agit du cœur de la loi El Khomri et de l’enjeu le plus important des débats sur le travail, la question des accords d’entreprise demeure sans réponse. Mais le projet de loi précise toutefois que ces accords bénéficient « d’un régime de présomption de conformité de la loi ». Après leur vote, et avant même leur application, ils sont donc considérés comme légaux. Le texte n’aborde pas les champs concernés par ces accords, se contentant de parler d’un « élargissement » et mentionnant « des domaines dans lesquels les conventions de branche […] peuvent stipuler expressément s’opposer à toutes dérogations par convention ou accords d’entreprise », sans mentionner quels domaines sont concernés. Un document de travail publié début juin dans Le Parisien évoquait le fait que les termes du contrat de travail, notamment les salaires ou les motifs de licenciement, deviendraient négociables par accord d’entreprise. Des « causes prédéfinies de licenciement », comme le manquement à un objectif de performance par exemple, auraient pu être imaginées à l’échelle de l’entreprise. Le CDI deviendrait un véritable siège éjectable. Cette idée, symboliquement choquante, semble avoir été remplacée par une vieille revendication du patronat : la création du « CDI de projet ». Il s’agit d’assouplir des règles encadrant « certaines formes particulières de travail », comprendre les contrats précaires. La solution ? Favoriser, ou du moins expérimenter, la pratique des contrats utilisés dans le secteur du bâtiment : les CDI conclus pour la durée d’un chantier. Ceux-ci deviendraient des CDI « de projet ». « C’est une extension de la précarisation du salariat, car ce contrat, qui a un début et une fin, n’a de CDI que le nom », dénonce Fabrice Angeï, de la CGT.

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Le gouvernement prévoit aussi de modifier les règles des licenciements économiques dans la filiale française d’un groupe international. Alors qu’actuellement la situation économique des autres sites, implantés dans les autres pays, est prise en compte pour évaluer les difficultés économiques du groupe, le texte entend modifier ce zonage. Encore une fois, le flou est de mise : on ignore si cette zone serait limitée à la France ou à une focale plus large, comme le continent européen. Cette mesure avait été envisagée dans le projet de loi El Khomri, avant d’être retirée sous les feux de la critique, y compris de la part des partisans de la loi. En cause ? Le dispositif ne permettait pas aux juges de vérifier que les déboires économiques de la filiale ont été artificiellement créés par l’entreprise mère. Le gouvernement a anticipé cet argument : la loi d’habilitation prévoit que soient forgés des garde-fous contre « la création de difficultés artificielles entre filiales du même groupe ». Seul problème, ces garde-fous existent déjà. Ainsi se dissipe l’enfumage gouvernemental…

Le gouvernement, par l’intermédiaire de son porte-parole Christophe Castaner, a entériné le texte publié par Le Monde une semaine avant sa présentation en conseil des ministres, affirmant qu’il s’agissait du « cadre [pour] discuter avec les partenaires sociaux ». Étonnamment, les syndicats assurent, eux, qu’ils n’ont pas eu confirmation que ce document était effectivement celui prévu comme base des négociations. Et pour cause : ils l’ont découvert dans les médias. « C’est la quatrième parution dans la presse des éléments de sa réforme. Mais nous, nous n’avons eu qu’une seule réunion au ministère et, surtout, aucune information concrète sur la nature du projet de loi. C’est ça la nouvelle manière de dialoguer du gouvernement, ne donner aucune information ? », s’interroge Éric Beynel, de Solidaires.

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Politique
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