Une gauche de résistance

Dans une Assemblée dominée par le parti d’Emmanuel Macron, c’est aux députés de la France insoumise et du PCF qu’il incombe de porter fort la protestation sociale et écologique.

Michel Soudais  • 21 juin 2017 abonné·es
Une gauche de résistance
© photo : Martin BUREAU/AFP

C’est une Assemblée nationale profondément renouvelée qu’ont élue, dimanche, une minorité d’électeurs. Seulement 42,64 % des électeurs se sont rendus aux urnes, établissant un nouveau record d’abstention préoccupant. Et près de 10 % d’entre eux y ont déposé un bulletin blanc ou nul. Cette grève du vote qui s’approfondit traduit-elle une apathie des citoyens face à une élection perçue comme secondaire ? Ou témoigne-t-elle d’une profonde défiance vis-à-vis d’institutions usées, incapables de représenter la diversité des opinions qui cohabitent dans le pays ? Les deux hypothèses ne s’excluent pas nécessairement. Si Jean-Luc Mélenchon semble privilégier la seconde et voit « dans cette abstention une énergie disponible pour peu que [son mouvement sache] l’appeler au combat », ni l’apathie ni la défiance ne font les @affaires du gouvernement. Dimanche soir, le Premier ministre, Édouard Philippe, a dû reconnaître que l’abstention « n’est jamais une bonne nouvelle pour la démocratie » et a choisi de l’interpréter « comme une ardente obligation de réussir ». Une manière de reconnaître l’absence d’adhésion populaire à la politique qu’il s’apprête à mettre en œuvre sous la conduite d’Emmanuel Macron.

L’exécutif dispose pour cela d’une large majorité dans une Assemblée nationale métamorphosée, politiquement et sociologiquement. Même si le raz-de-marée macroniste annoncé au soir du premier tour n’a pas l’amplitude redoutée, La République en marche (LREM), avec 308 députés sur 577, a la majorité absolue à elle seule, et sans son allié MoDem (42 sièges). Le mouvement d’Emmanuel Macron réalise « un hold-up » que le candidat à la présidentielle avait dénoncé par anticipation dans un discours à Angers, le 28 février. Il jugeait alors impossible et surtout « pas souhaitable » qu’un Président élu en ayant rassemblé au mieux 25 % au premier tour de la présidentielle ait « une majorité présidentielle uniquement avec son parti ».

Quel que soit le côté artificiel de cette victoire, elle s’est faite principalement au détriment des vieux partis. La droite, avec 112 députés Les Républicains (LR), 18 pour l’Union des démocrates et indépendants (UDI) et 8 divers droite, perd près de la moitié de ses sièges. Le Parti socialiste (280 élus en 2012) n’en sauve que 30, et ses alliés sont laminés : les radicaux de gauche (PRG) passent de 15 députés à 3, et Europe Écologie-Les Verts (EELV) n’a plus aucun représentant. Avec 8 députés contre 2 en 2012, le Front national (FN) ne profite guère de ce « dégagisme ». En revanche, la France insoumise (FI), née il y a à peine plus d’un an, est en mesure, avec 19 députés dont 2 Ultramarins, de constituer un groupe, seule ou avec le renfort des 10 députés du Parti communiste (PCF), qui gagne 3 sièges.

Sociologiquement, la nouvelle assemblée est plus jeune. La moyenne d’âge tombe de 54 ans en 2012 à 48 ans et 8 mois ; en conséquence, le nombre de retraités a fondu de 106 à 41 élus. Elle est aussi plus féminine avec 223 élues contre 155 en 2012. Moins expérimentée également puisque 424 élus n’ont jamais été députés – ils ne sont que 140 à avoir été réélus –, ce qui est le cas de tous le députés FI et de 91 % des députés LREM, et 237 sont des élus « tout neufs » qui n’avaient aucun mandat en 2016 (190 LREM, 14 FI, 11 MoDem, 6 LR, 2 PS). Enfin, 29 permanents politiques ont été élus contre 60 il y a cinq ans.

Professionnellement, les cadres seront surreprésentés dans l’hémicycle : on en recense 180 contre 134 en 2012, et ils sont majoritairement issus du privé (59 % contre 39 % en 2012). Viennent ensuite les professions libérales, qui passent de 74 à 103, les enseignants de 47 à 61 et les chefs d’entreprise. Ils étaient 19, ils sont 41 tandis que l’on dénombre seulement 21 employés (8 en 2012), 13 agriculteurs (9 en 2012), un ouvrier et un étudiant.

Dans cette nouvelle Assemblée nationale qui fera sa rentrée officielle le 27 juin, plusieurs groupes revendiquent d’incarner l’opposition à la politique d’Emmanuel Macron. À commencer par Marine Le Pen, élue haut la main dans la circonscription d’Hénin-Beaumont. Mais faute de réunir les quinze députés requis pour constituer un groupe – même avec l’appoint de Nicolas Dupont-Aignan et de Jacques Bompard, le maire d’Orange –, les huit élus du FN auront du mal à se faire entendre. La droite, forte de ses 136 élus, aspire bien évidemment au titre. Mais une scission est hautement probable en son sein : plusieurs députés LR ne font pas mystère de vouloir voter la confiance au gouvernement à l’issue du discours de politique générale que prononcera Édouard Philippe, le 4 juillet. Ces élus qui se définissent comme « constructifs » depuis la formation du gouvernement conduit par un Premier ministre issu de leur parti, s’activent déjà autour de Thierry Solère, Franck Riester, Pierre-Yves Bournazel et quelques juppéistes, pour former leur propre groupe.

L’attitude à adopter face au gouvernement divise également les maigres troupes socialistes où neuf députés ont été élus sans avoir à affronter un candidat LREM. C’est le cas de l’ancien ministre Stéphane Le Foll, qui, comme plusieurs « macron-compatibles », n’exclut pas de voter la confiance au gouvernement. « Les membres du groupe ne peuvent pas se revendiquer de la majorité présidentielle », estime à l’inverse l’ancien vallsiste Luc Carvounas, nouveau député du Val-de-Marne qui, en bureau national où cette question était âprement débattue mardi matin, a appelé « celles et ceux qui ont envie de voter la confiance [à ce] qu’au moins ils s’abstiennent ».

Dans ce champ de ruines, une nouvelle gauche de résistance prend le relais. C’est la tâche que Jean-Luc Mélenchon assigne à son groupe : « Le peuple français […] nous a désignés pour, dorénavant, porter devant le fanal du combat », a-t-il déclaré dimanche en évoquant la constitution d un « groupe France insoumise cohérent, discipliné, offensif ». Le député de Marseille, qui devrait prendre la présidence du groupe, a assuré que « tous ceux qui voudront le rejoindre » seraient « les bienvenus dans un combat où on cherchera toujours à rallier le maximum de ceux qui veulent entrer dans la lutte ». L’appel du pied visait évidemment les communistes, qui après des hésitations ont défendu sa candidature à la présidentielle. Les deux formations, qui s’accordent sur la plupart des sujets, ont investi et soutenu certains candidats communs, mais n’ont pas réussi à s’entendre sur des alliances aux législatives. Parviendront-elles à constituer un groupe parlementaire capable de porter la voix des protestations sociales et écologiques ? Elles ont jusqu’au 27 juin 18 heures pour y parvenir. Côté PCF, on se dit attaché à « l’autonomie du collectif et au respect des élus ». La crainte de s’effacer derrière un groupe labellisé FI pousse certains communistes à s’interroger sur la pertinence d’un groupe unique, à l’instar de Fabien Roussel, nouveau député du Nord, qui se demande si deux groupes n’auraient pas une force de frappe plus importante. Mardi 20 juin, ces discussions étaient à peine entamées. Les députés communistes devaient se réunir le lendemain matin « pour décider collectivement de leur positionnement », nous a fait savoir André Chassaigne, dont l’inimitié avec M. Mélenchon est notoire. Compte tenu des enjeux politiques et matériels, aucune décision n’était attendue avant la fin de la semaine.

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