Une non-domination masculine

Dans Le Jour d’après, comédie douce-amère, Hong Sang-soo montre un homme ballotté entre trois femmes.

Christophe Kantcheff  • 7 juin 2017 abonné·es
Une non-domination masculine
© photo : DR

Qu’y a-t-il dans la tête de cet homme ? Celui qu’Hong Sang-soo a choisi de montrer dînant en solitaire au début de son nouveau film, qui était en compétition à Cannes, Le Jour d’après. Ce premier plan n’est pas anodin : la plupart du temps, Bongwan (Kwon Hae-hyo) sera face à une femme – son épouse, sa maîtresse ou la nouvelle employée qui vient faire sa première journée de travail à ses côtés. On le verra seul à quelques autres reprises, fugacement. Tôt le matin, alors que l’aube n’est pas encore levée, en route vers son travail. Parfois, il est en pleurs.

Le premier plan s’élargit rapidement. Une femme s’est assise à la table de la cuisine, face à Bongwan, son mari. Elle le tenaille de questions. « Tu es bizarre ces jours-ci […]. N’as-tu pas une maîtresse ? » Lui ne répond rien.

Il en a une, en effet : Changsook (Kim Saebyuk). On les voit tendrement enlacés. Mais l’image est furtive. Peu de temps après, ils sont eux aussi attablés. Ayant passablement bu – même si, dans Le Jour d’après, le soju coule moins à flots que d’habitude –, Changsook sanglote d’amertume. Elle lui reproche sa lâcheté. Bongwan se tient coi, penaud. Elle le quittera bientôt, abandonnant ainsi son poste d’unique salariée dans la maison d’édition qu’il dirige.

Apparaît Aerum (Kim Min-hee), afin de la remplacer. Là encore, on retrouve Bongwan et sa nouvelle employée à table, pour la pause déjeuner. En l’occurrence, la configuration de la mise en scène est récurrente et d’une absolue simplicité : la femme à gauche, l’homme à droite de l’écran, pour une confrontation ou une rencontre.

Hong Sang-soo enregistre l’échange de paroles, l’expression des visages. On badine, on philosophe sur la vie, on se querelle. Ce n’est pas pour rien qu’on l’a surnommé le « Rohmer coréen ». Comme une parenthèse agitée dans ce dispositif, une scène de vaudeville : l’épouse de Bongwan, sur la foi d’une lettre d’amour qu’elle a trouvée, fait irruption dans la maison d’édition, prend Aerum pour sa maîtresse et se rue sur elle.

Le Jour d’après, avec son noir et blanc austère, est une comédie douce-amère, où les relations d’amour établies (avec l’épouse, la maîtresse) n’offrent plus de latitudes. Seule la discussion entre Aerum et Bongwan accède aux rivages plaisants de la conversation où l’on parle de soi et du monde librement. Aerum est aussi la seule à échanger avec l’éditeur sur l’écriture et la littérature. Il lui propose de prendre, parmi les livres qu’il a publiés, ceux qu’elle désire. Elle le fait sans modération, elle qui espère devenir écrivain.

Comme tout au long du film, Bongwan se montre face à elle incertain, doutant de tout, y compris du réel. La sérénité d’Aerum, dont on apprend qu’elle l’a trouvée dans la foi, semble lui faire du bien. Mais, à la suite d’un dernier événement, il se montrera définitivement flottant, et même mufle.

C’est une bien piètre image du genre masculin, sans joie ni conviction, que tend ici Hong Sang-soo. Alors qu’on sent chez Aerum une soif de vivre et une concentration qui en font le personnage le plus lumineux de ce film plutôt sombre.

Le Jour d’après, Hong Sang-soo, 1 h 32.

Cinéma
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