James Brown, l’homme du Sud

Dans Mets le feu et tire-toi, James McBride démêle les multiples personnalités de James Brown.

Pauline Guedj  • 26 juillet 2017 abonné·es
James Brown, l’homme du Sud
© photo : Chia Messina

Il est une histoire liée à James Brown que l’écrivain-saxophoniste James McBride aime raconter. Un jour, le bus de tournée du chanteur tombe en panne et ses musiciens sont contraints de voyager avec les Stylistics, fameux groupe de Philadelphie. Des années plus tard, McBride rencontre l’un d’entre eux. « Alors, comment étaient les musiciens de Brown ? », lui demande-t-il. « Des campagnards », lui répond son ami.

À l’image de ceux qui l’accompagnaient sur scène, James Brown, le « parrain de la soul », serait en réalité « country ». Et McBride d’ajouter : « Il avait sûrement plus en commun avec un paysan blanc de Géorgie qu’avec un Noir du New Jersey. »

Consacré à James Brown, Mets le feu et tire-toi, le dernier livre de James McBride est une commande. L’auteur pensait y passer six mois, il y a consacré deux années et écopé des insultes des descendants du musicien. Deux ans passés à démêler les fils du cas James Brown.

Le livre articule récits introspectifs, descriptions, portraits d’anciens collaborateurs, digressions sur la musique et la communauté noire. McBride se fait historien, notamment lorsqu’il raconte le déplacement des populations noires dans le Sud, en l’occurrence celles du village natal de Brown, transformé en usine atomique. Il se fait aussi ethnologue, dans un des plus beaux passages du livre, lorsque, avec un cousin du musicien, il parvient, schéma de parenté à l’appui, à retracer la généalogie de James Brown et par là même ce passé que ce dernier a tant voulu dissimuler.

Pour McBride, la clé de l’univers James Brown est à chercher dans le sud des États-Unis, Caroline et Géorgie, ces États qui l’ont vu naître et grandir. Là, le racisme structure les relations sociales. La peur du Blanc dicte la vie des Noirs, les poussant à des stratégies de survie. En la matière, James Brown a excellé, et c’est en ce sens qu’il est un enfant de la région.

Pour analyser les adaptations du musicien au racisme structurel, McBride fait appel à un motif bien connu des études afro-américaines. Une sorte de marronnier des Black Studies. Les Noirs américains seraient des « tricksters », des hommes masqués, aux personnalités multiples. Tout au long de sa carrière, James Brown aurait compartimenté sa vie, modifié son comportement selon ses interlocuteurs – noirs, blancs, riches, pauvres, hommes, femmes.

Il y a trente ans déjà, le critique littéraire Henry Louis Gates faisait de cette faculté le propre des descendants d’esclaves, un double jeu né de leur situation dramatique. D’une certaine manière, Gates s’inscrivait lui-même dans la continuité de l’anthropologue Roger Bastide et de son principe de coupure : les antagonismes raciaux obligent les Afro-Américains à découper sciemment la réalité en compartiments étanches pour ne pas s’y sentir déchirés.

McBride, certainement à tort, ne s’embarrasse pas de ces références. Mais ses observations leur apportent une nouvelle dimension. En évoquant les relations entretenues par James Brown avec son avocat et son comptable, tous deux des Blancs du Sud, l’auteur montre en quoi cette intégration presque psychique de la domination raciale finit par créer entre Noirs et Blancs une sorte de langage partagé.

Alors, si James Brown a plus en commun avec un paysan blanc de Géorgie qu’avec un Noir du New Jersey, serait-ce finalement parce qu’il existe aux États-Unis une appréhension proprement sudiste du monde ?

Mets le feu et tire-toi, James McBride, traduit de l’anglais (États-Unis) par François Happe, éd. Gallmeister, 336 p., 22,80 euros.

Littérature
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