Les confessions d’un homme d’Église

Dans Au feu de Dieu, Walter Siti offre une troublante plongée dans les pensées d’un prêtre pédophile. Et dans la société italienne.

Anaïs Heluin  • 27 septembre 2017 abonné·es
Les confessions d’un homme d’Église
© photo : Sophie Bassouls

Pour Léo, chaque geste est sujet à réflexion. Sans parler des mots, qui lui viennent à flots dans la solitude mais peinent parfois à franchir ses lèvres en société. Lorsque le monde l’émeut, Léo bégaie. À moins que son débit tortueux ne traduise un trouble plus intime encore. Une pulsion qu’il étouffe depuis des années sous sa soutane.

Prêtre jeune et brillant, apprécié dans sa paroisse, le personnage principal d’Au feu de Dieu n’est en effet pas aussi innocent ni vertueux qu’il y paraît dans le premier tiers du récit. Invitation à la relecture, le dévoilement de l’attirance du héros pour les jeunes garçons inclut celui-ci dans la comédie humaine que construit le romancier depuis Leçons de nu, son premier livre traduit en français et publié par Verdier en 2012.

Lors de la sortie du roman en Italie, ce personnage de pédophile à visage humain a suscité la polémique. Tout comme le Mohamed Merah de la pièce de Mohamed Kacimi lors du dernier Festival d’Avignon, taxée par quelques associations d’« entreprise de réhabilitation » du terrorisme. Dans les livres comme sur scène, la banalité du mal est rarement reçue avec les honneurs. En particulier quand elle touche à des tragédies ou à des scandales récents. Au feu de Dieu n’a pourtant rien d’une apologie du crime. Au-delà du bien et du mal, l’intranquille Léo offre à l’auteur un prisme idéal pour embrasser les violences qui minent l’Italie.

« Le prêtre est un homme dévoré, taillé comme un pied de vigne _; la vie d’un prêtre, ce sont les autres_ », formule le personnage dans l’un des nombreux passages où sa voix se mêle à celle du narrateur. Un anonyme dont les liens – s’il y en a – avec l’intrigue ne sont jamais évoqués. Dans Au feu de Dieu, Walter Siti s’éloigne ainsi de l’autofiction qu’il pratique d’habitude, par exemple en plaçant au cœur du récit un homonyme, vieux professeur obèse et homosexuel, victime dans La Contagion (Verdier, 2015) des inconstances d’un amant cocaïnomane.

Au carrefour de nombreux récits, Léo est un être au langage aussi contrasté que son âme. Pour dire la lutte de son personnage contre sa propre nature, et ses missions à travers la ville, Walter Siti déploie en effet une polyphonie échevelée. Un foisonnant mélange d’exégèses plus ou moins farfelues, d’anecdotes de paroisse, de sermons passionnés et de confessions.

Le ton varie en même temps que l’élocution du héros. Selon que celui-ci s’intéresse aux migrants, pour qui il a ouvert une maison d’accueil, à l’un des dépravés baroques de son entourage ou encore à un riche homme d’affaires cocu dont il fait son confident, Au feu de Dieu passe des larmes au rire, et inversement. Jusqu’à la chute prévisible de Léo.

Chronique d’une société à la dérive, le roman de Walter Siti échappe ainsi au manichéisme qu’on pouvait redouter. En remuant sans pincettes un des tabous de l’époque, l’Italien fait s’envoler toute certitude. Notamment quant au langage. Si on emploie des mots communs chez Walter Siti, c’est de la même manière qu’on fait appel à Dieu : faute d’avoir une base plus solide.

Au feu de Dieu, Walter Siti, traduit de l’italien par Martine Segonds-Bauer, Verdier, 379 p., 24 euros.

Littérature
Temps de lecture : 3 minutes