Les risques de la compassion

Simon McBurney rate son adaptation de La Pitié dangereuse, de Stefan Zweig.

Gilles Costaz  • 20 septembre 2017 abonné·es
Les risques de la compassion
© photo : Gianmarco Bresadola

Dans le cadre du Festival d’automne, le Théâtre de la Ville hors les murs (puisque les travaux se prolongent place du Châtelet) reçoit à Sceaux la Schaubühne de Berlin et le metteur en scène anglais Simon McBurney, réunis autour d’une adaptation de La Pitié dangereuse, le roman de Stefan Zweig.

Le spectacle était attendu avec impatience. McBurney réalise des merveilles depuis des années, parmi lesquelles Mnemonic, qui s’interrogeait sur l’histoire de l’homme et le fonctionnement de la mémoire à partir de la découverte d’un cadavre resté congelé pendant cinq mille ans, Le Maître et Marguerite,d’après Boulgakov, qui fit l’ouverture du Festival d’Avignon en 2012, et Apologie d’un mathématicien, qui tournait autour du génie scientifique d’un simple fonctionnaire indien. On ne compte plus les réussites de sa troupe, baptisée d’un nom français, Complicité, en hommage à Jacques Lecoq, auprès de qui il s’est formé dans sa jeunesse.

Cette fois, le pari tenu avec les comédiens allemands – avec McBurney, les acteurs participent à l’écriture et sont considérés comme coauteurs – obéit à des règles un peu différentes : le metteur en scène ne travaille pas avec sa troupe, utilise une langue qui n’est pas la sienne et prend comme matériau un livre qui n’est pas un éclairage sur un phénomène mental ou de civilisation, mais une véritable histoire structurée autour de ses événements et de sa conclusion.

À travers La Pitié dangereuse, Simon McBurney s’interroge cependant, une nouvelle fois, sur un ressort psychique : la compassion. Mais il dépend d’un roman que beaucoup de lecteurs connaissent et qui conte les tristes palinodies d’un officier autrichien avant la guerre de 1914-1918.

Cet Anton invite une jeune femme à danser sans voir qu’elle est atteinte d’une paralysie. Humilié par l’échec qui en découle, il se rapproche de l’infirme et déploie une telle compassion que la malade devient folle de lui. Le malentendu est total. Le sentiment, l’argent, les bienséances et le code de l’honneur sont entrés en jeu. Cela finit mal, très mal…

Sur la scène, il y a, comme souvent avec cette équipe, des bureaux et des lampes du bureau. La forme théâtrale se met en place peu à peu. Un carré lumineux dessine une scène centrale à l’intérieur du plateau, mais cette scène est mouvante, tout comme l’armoire vitrée du fond, qui est une autre aire de jeu. Des séquences filmées viennent parfois occuper tout l’écran blanc placé en arrière-scène, mais l’essentiel se passe dans les épisodes joués au centre par des acteurs munis de micros et emportés par une nervosité endiablée.

Le personnage de l’officier est interprété par deux comédiens, les autres acteurs jouent parfois plusieurs rôles. Avec le rôle important de la musique et du son, tout est d’une marqueterie très savante. Mais McBurney crée une illustration agitée au lieu de se promener, comme il le fait si bien, dans les méandres de la conscience. Il passe totalement à côté de ces vertiges doux, si amoureux de l’être humain, pour lesquels nous l’aimons tant.

La Pitié dangereuse, Les Gémeaux, Sceaux, 01 46 61 36 67. Jusqu’au 24 septembre.

Théâtre
Temps de lecture : 3 minutes