Mobilisations : Ce n’est qu’un début

En parallèle à la mobilisation contre les ordonnances, d’autres manifestations plus catégorielles sont annoncées. Jean-Luc Mélenchon, avec sa « marche », cherche à leur donner un tour politique.

Michel Soudais  • 20 septembre 2017 abonné·es
Mobilisations : Ce n’est qu’un début
© photo : Dan Pier/Citizenside/AFP

La rentrée sociale est là, et bien là. Quoi qu’aient pu dire les commentateurs des télés et des radios toujours prompts à minimiser les mouvements sociaux, la journée d’action du 12 septembre a été un succès du point de vue de la mobilisation. L’affluence dans les cortèges a surpris jusqu’à la CGT, qui, fait rare, a dû revoir le lendemain son évaluation de la mobilisation à près de 500 000 manifestants, une fois compilés tous les chiffres des quelque 200 rassemblements organisés partout en France. Soit un niveau similaire à celui de la première manifestation anti-loi travail, le 9 mars 2016, les chiffres de la police pour ces deux journées étant d’ailleurs comparables. Si le gouvernement reste inflexible et maintient que ses ordonnances seront adoptées en conseil des ministres le 22 septembre, le succès de cette première mobilisation n’a pas tardé à faire boule de neige.

De nouveaux syndicats ont décidé depuis d’entrer dans la contestation, parfois contre la position de leur confédération. Qu’ils soient affiliés à Force ouvrière, où 58 unions départementales et 8 fédérations professionnelles appellent à descendre dans la rue ce 21 septembre avec la CGT, Solidaires, la FSU et l’Unef, ou à la CFDT, comme la fédération des métallos de la centrale de Laurent Berger, tous invoquent la pression de la base pour réclamer un durcissement de l’opposition au projet du gouvernement. Car trois semaines après la présentation de sa réforme du code du travail, Emmanuel Macron a perdu la bataille de l’opinion. Tous les sondages l’attestent. Selon celui de l’institut Viavoice publié le 18 septembre par Libération, 68 % des personnes interrogées estiment que « la réforme favorisera les licenciements » et 65 % pensent qu’elle « affaiblira le rôle des syndicats ». Pour 60 % d’entre elles, la réforme va « accroître la précarité des salariés » et 52 % estiment que les ordonnances ne favoriseront pas le dialogue social dans les entreprises.

La protestation s’étend également en prenant un tour plus catégoriel mais non moins menaçant pour un gouvernement en chute libre dans les enquêtes d’opinion. Le 18 septembre, les syndicats routiers CFDT et CFTC ont organisé des barrages filtrants en région et un rassemblement près du ministère du Travail pour dénoncer les ordonnances réformant le code du travail, qui, selon leurs représentants, affectent particulièrement le secteur routier, une « profession constituée à 80 % de TPE-PME », rappelle Patrick Blaise, secrétaire général de la CFDT-Route. La possibilité offerte aux entreprises de moins de 50 salariés de « déroger à toutes les applications de la convention collective qui est négociée par les organisations syndicales au niveau national » inquiète Thierry Douine, président de la CFTC-Transport. Reçus au cabinet de la ministre du Travail, les deux syndicats ont demandé au gouvernement de sortir le transport routier des ordonnances, qui sont en l’état « une catastrophe sociale pour la branche », ou de créer « une commission de suivi dans les TPE et PME » au niveau national. Et fait savoir que cette journée était « un coup de semonce ». Notamment avant la réforme des retraites, dont ils craignent qu’elle les « impacte de plein fouet ».

De leur côté, les fédérations CGT et FO ont appelé à une grève reconductible à partir du 25 septembre. Avec l’intention de bloquer les dépôts de carburants. « Cette grève aura des conséquences très concrètes sur l’économie française », promet Jérôme Vérité, secrétaire général de la fédération CGT-Transports. « Marcher dans la rue, c’est bien, mais on a vu dans le passé que des millions de salariés ne font pas bouger les lignes, alors on essaie autre chose », complète son homologue de FO Patrice Clos, qui a défilé le 12 septembre à Paris au côté du leader de la CGT, Philippe Martinez.

Le 12 septembre, la CGT-Cheminots (1er syndicat) ainsi que SUD-Rail (3e syndicat), FO et First (non représentatifs) avaient appelé à la grève sans susciter de perturbations excessive, 50 % à 80 % du trafic continuant à être assuré. L’Unsa-ferroviaire (2e syndicat) a décidé depuis de s’associer à leur appel à la grève du 21 septembre contre les ordonnances. Elle redoute « l’émergence d’un dialogue social à sens unique et sous contrainte qui sera générateur de conflits et de régressions sociales ». Les projets d’Emmanuel Macron pour le rail et l’avenir de la société ferroviaire nationale, dévoilés par Le Monde début septembre, inquiètent au plus haut point les cheminots, qui se préparent activement à s’opposer à cette nouvelle réforme qui, selon la CGT, « vise uniquement à imposer l’ouverture à la concurrence du transport national ».

Les retraités ne sont pas concernés par la réforme du code du travail. Nombre d’entre eux étaient pourtant présents dans la rue ; par solidarité, expliquaient-ils, mais également – cela se lisait sur leurs pancartes – pour manifester leur opposition à la hausse de la CSG (contribution sociale généralisée) et réclamer une revalorisation des pensions. Deux mots d’ordre sur lesquels pas moins de neuf organisations syndicales et associations (CGT, FO, CGC, CFTC, FSU, Solidaires, FGR, UNRPA et LSR) les appellent à se mobiliser le 28 septembre. On sait que le gouvernement a prévu, dans le cadre du budget pour 2018, d’augmenter de 1,7 point le taux normal de la CSG afin de compenser la suppression des cotisations chômage et maladie pour les salariés du privé (3,15 % du salaire) et leur redonner du pouvoir d’achat.

Ce dont les retraités ne bénéficieront pas, alors que la revalorisation annuelle des pensions, indexée sur les prix, est gelée depuis 2013.

Cette hausse annoncée de la CSG pourrait bien mettre le feu au secteur public. Les fédérations CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FA (Autonomes), FO, FSU, Unsa et Solidaires, soit l’ensemble des syndicats de la fonction publique, appellent les 5,4 millions d’agents publics à la grève et à manifester le 10 octobre pour « faire entendre » leurs « profonds désaccords » avec les mesures « négatives » du gouvernement qui « s’accumulent » pour les fonctionnaires : suppression de 120 000 postes, gel des rémunérations, rétablissement du jour de carence… Signe du mécontentement des fonctionnaires, « une telle unanimité sur un cahier de revendications commun n’est pas arrivée sous les deux derniers quinquennats », souligne Christian Grolier (FO). « Il était plus que temps que nous tirions la sonnette d’alarme après ces attaques brutales, répétées », commente Bernadette Groison, de la FSU, « très satisfaite » de cet appel « unitaire » qu’elle avait proposé.

Le 13 septembre, les syndicats avaient rejeté en bloc une piste du gouvernement pour compenser la hausse de la CSG pour les fonctionnaires, lors d’une réunion de travail présentée par l’exécutif comme n’étant « en aucun cas conclusive ». Un seul « scénario » leur avait été présenté. Il prévoit « une suppression de la cotisation exceptionnelle de solidarité (CES), de 1 % pour les fonctionnaires » et de la cotisation maladie de 0,75 % pour les contractuels, ainsi qu’une « indemnité compensatoire au 1er janvier » qui pourrait être « dégressive » au fur et à mesure que l’agent avance dans sa carrière. Mais cette « compensation » ne s’appliquerait pas aux nouveaux entrants dans la fonction publique. Elle exclurait également de l’assiette de calcul les heures supplémentaires ou les astreintes, le travail de nuit, pourtant assujettis à la CSG. Les syndicats en sont ressortis avec la conviction que le gouvernement n’entend pas augmenter le pouvoir d’achat des fonctionnaires, contrairement aux engagements présidentiels.

Quoique d’une autre nature, la contestation est aussi rampante parmi les forces de l’ordre. Le 12 septembre, 35 % des CRS qui devaient être présents lors des manifestations contre la réforme du code du travail se sont fait porter pâles, selon le syndicat Alliance. Cette « grève » déguisée traduit un « ras-le-bol » qui touche « plus de 80 % des compagnies de CRS », a expliqué auprès d’Europe 1 le délégué national CRS de ce syndicat, Johann Cavallero, évoquant pêle-mêle « un sur-emploi » depuis les attentats de 2015, « du matériel qui n’arrive pas, des véhicules qui ne sont pas renouvelés », l’inapplication d’une « directive européenne en matière de repos » et la modification de leur régime d’imposition.

Cet été, le ministère de l’Intérieur a en effet annoncé que l’indemnité journalière d’absence temporaire (IJAT), contrepartie de leur absence du domicile familial fixée en janvier à 39 euros, serait désormais imposée. Les délais de paiement ont aussi été allongés, passant de deux ou trois semaines à deux ou trois mois. Alliance a expliqué dans un communiqué que s’il n’est pas entendu sur le dossier de l’IJAT, la grogne des CRS pourrait se transformer en « actions de grande envergure sur tout le territoire ».

Face à la montée de ces mécontentements, le gouvernement multiplie les annonces censées endiguer catégoriellement la contestation. Aux retraités, le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, a annoncé, le 18 septembre, « une augmentation de 100 euros par mois d’ici à la fin du quinquennat » du minimum vieillesse, « avec une augmentation extrêmement forte les deux prochaines années ». Quelques heures plus tard, le même Gérald Darmanin tentait de rassurer les fonctionnaires : « Dans le budget 2018, il n’y aura que 1 600 suppressions de postes dans la fonction publique d’État, alors que l’objectif fixé par le président de la République est de l’ordre de 120 000 sur le quinquennat pour l’ensemble des fonctions publiques », annonce-t-il dans un entretien au Monde. Avant de leur faire miroiter « une augmentation de leur rémunération proche de 4 % », conformément à l’accord sur la revalorisation des rémunérations et carrières décidé par le gouvernement précédent mais… « pas totalement financé ». Et d’un coût de « 4 milliards, à trouver d’ici à 2020 ».

En mode déminage également, Gérard Collomb, le ministre de l’Intérieur, a annoncé dimanche, au lendemain d’une journée d’action de « policiers en colère » très faiblement suivie, un « effort considérable » de l’État en faveur de son ministère, qui verra son budget augmenter de 6,8 % en 2018 avec notamment 138 millions d’euros supplémentaires et 1 400 postes pour la police nationale, et une « enveloppe déconcentrée » de 45 millions d’euros pour la rénovation des commissariats.

Pas sûr que ces rétropédalages suffisent à enrayer une contestation de plus en plus multiforme que « la marche contre le coup d’État social » organisée par la France insoumise, samedi 23 septembre, vise à globaliser. En multipliant les annonces sur les réformes qu’il entend engager sans délai et les économies budgétaires qu’il projette, Emmanuel Macron pensait sans doute assommer les opposants à sa politique. Il n’a fait qu’ouvrir de nouveaux fronts. En recourant sciemment à des provocations contre « les Français [qui] détestent les réformes », « les fainéants » et « les cyniques », le chef de l’État n’a fait que renforcer la détermination des contestataires et pousser les feux d’un affrontement politique avec eux.

Un clip de la France insoumise diffusé sur les réseaux sociaux pour appeler à sa « marche » met en scène des motivations diverses. Une étudiante viendra à la Bastille parce qu’elle est « contre la baisse des APL », un quinquagénaire parce qu’il est « contre l’augmentation de la CSG qui va toucher plus de la moitié des retraités », une jeune femme affirme vouloir « un monde propre et non des mesures libérales telles que le Ceta, qui est un coup d’État environnemental », une autre refuse « que l’on supprime les contrats aidés et que l’on mette des dizaines de milliers de gens à la rue », un jeune actif affirme que « nous devons ensemble nous libérer du libéralisme ». Comme en écho à Jean-Luc Mélenchon, qui expliquait dans un long entretien à Marianne que « tous les cycles néolibéraux ont commencé par un bras de fer fondateur ». Emmanuel Macron a choisi de le porter sur le code du travail. Le contraindre à reculer est impératif.

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