Nicolas Lebourg : « Florian Philippot a plombé Marine Le Pen au niveau de la crédibilité »

Pour le spécialiste de l’extrême droite Nicolas Lebourg, le FN fait face à une crise de légitimité, mais son électorat n’est pas vraiment entamé.

Pauline Graulle  • 27 septembre 2017 abonné·es
Nicolas Lebourg : « Florian Philippot a plombé Marine Le Pen au niveau de la crédibilité »
© photo : Jean-Christophe VERHAEGEN / AFP

Le départ de Florian Philippot laissera-t-il les mêmes traces que celui de Bruno Mégret à la fin des années 1990 ? Selon le chercheur Nicolas Lebourg, qui rappelle que le départ de Florian Philippot est loin d’être une catastrophe pour le parti de Marine Le Pen, le FN doit surtout affronter la fin d’une « bulle spéculative » qui a éclaté après la présidentielle.

Dans quelle mesure le départ de Florian Philippot a-t-il ouvert une crise au FN ?

Nicolas Lebourg : Je ne crois pas du tout que son départ va profondément nuire au score du FN. En réalité, la crise du FN résulte d’autre chose : de l’échec de Marine Le Pen et de Florian Philippot à transformer un parti de la demande en un parti de l’offre. Jusqu’en 2012, le vote FN était extrêmement déterminé par le niveau de diplôme, le lieu d’habitation… Il était très construit sociologiquement, ce qui faisait que le vote était à la fois très stable et relativement réduit, car il correspondait à une demande construite sur le rejet des immigrés et des arabo-musulmans. La stratégie de Marine Le Pen et de Florian Philippot a été d’élargir ce socle en essayant d’agréger d’autres segments sociaux. Or ils ont échoué à en faire un parti de l’offre, tout simplement parce que leur offre était mal adaptée au marché politique, en particulier sur la question de l’euro. Donc, aujourd’hui, le FN ne revient pas à « ses fondamentaux », comme on l’entend dire partout, mais il revient à « la demande » : si les gens votent pour le FN, c’est d’abord pour ses thématiques autour de l’immigration, pas pour sa remise en cause de l’euro ou la thématique du souverainisme, qui n’a jamais séduit, en France, plus de 5 % des électeurs… Le FN s’adapte : c’est un commerce qui constate que sa stratégie d’élargissement ne fonctionne pas, donc il va changer de marchandise. Penser que cette réadaptation peut lui nuire est donc saugrenu.

Voulez-vous dire que le FN ne traverse pas une crise majeure ?

Fin 1998, lors de la scission mégrétiste, certains observateurs ont eu le fantasme délirant que l’extrême droite était morte. Or, on a eu Le Pen au second tour trois ans plus tard ! Là, l’extrême droite n’est absolument pas morte, et il n’y a même aucune raison structurelle que le vote FN ait été atteint. Ce qu’on a souvent entendu, c’est que Florian Philippot arrivait à parler à de nouveaux segments que le FN n’avait pas atteints jusqu’ici : c’est faux. Sur les cadres et les professions intellectuelles, Marine Le Pen en 2012 et en 2017 fait un moins bon score que son père en 1988. Pourquoi ? Parce que le programme économique qu’elle défend apparaît moins crédible que celui de son père. Autrement dit, la ligne de Florian Philippot l’a plutôt plombée au niveau de la crédibilité.

Alors pourquoi l’a-t-elle défendu mordicus alors qu’il était affaibli depuis longtemps dans le parti ?

La ligne Philippot était une ligne formidable en 2014, au moment des européennes, car c’était un scrutin à un tour autour de la question de l’Europe – qui est détestée par les Français. Mais le problème de cette ligne, c’est qu’elle ne permet pas de gagner dans un système électoral à deux tours. En fait, Le Pen et Philippot ont dirigé le FN avec pour seule boussole les sondages. Résultat, voyant que les Français et leur électorat étaient dans leur majorité plutôt pour le mariage pour tous, ils ne se sont pas associés à la Manif pour tous, et sont passés à côté d’un mouvement social d’ampleur. Ils auraient dû comprendre que l’opinion publique et le système électoral à deux tours, ce n’est pas la même chose !

Voulez-vous dire que départ de Florian Philippot est une bonne chose pour le FN ?

Je pense en tout cas que la crise que traverse le FN est moins liée au départ de Philippot qu’au problème de crédibilité du parti (le débat de Marine Le Pen dans l’entre-deux tours a ainsi fait beaucoup de mal…) et qu’à l’explosion d’une bulle spéculative à laquelle beaucoup de gens, de journalistes, de chercheurs, ont cru. À partir de 2013 et de la cantonale partielle de Brignoles, le FN est présenté partout, ou presque, comme le premier parti de France. En 2015, la Fondation Jean-Jaurès soumet un questionnaire à 200 militants du FN âgés entre 14 et 35 ans : 36 % en 2015 espèrent devenir député ou sénateur ! Aujourd’hui, ce à quoi l’on assiste, c’est à l’éclatement de cette bulle – même si ce parti représente toujours 20 % des gens…

Est-ce à dire que Jean-Luc Mélenchon, qui a annoncé publiquement qu’il voulait reprendre l’électorat philippotiste, n’aura rien à reprendre ?

Il ne prendra sans doute pas grand-chose. En revanche, il a un coup à jouer sur les primo-électeurs. Depuis 1988, le FN a toujours été très fort sur les primo-électeurs. Or, à la dernière présidentielle, on s’est aperçu que Mélenchon en avait attiré beaucoup. Il a donc une marge de manœuvre.

Quelles sont les conséquences pour Laurent Wauquiez, qui brigue la présidence des Républicains ?

En 2014, Jean-François Copé a fait la folie de faire campagne aux européennes sur le porc dans les cantines au lieu de parler de l’euro. Résultat, au lieu de faire un sale coup au FN, il a favorisé les transferts de vote vers lui. Nous l’avons analysé avec Jean-Yves Camus dans une étude sur l’extrême droite européenne : à chaque fois qu’on met les thèmes de l’extrême droite sur le tapis, on la favorise. Si on nous martèle que le problème, c’est l’immigration, il est plus logique de voter FN que de voter écolo ! En faisant une campagne très à droite, Wauquiez brosse certes ses électeurs dans le sens du poil, et solidifie son électorat, mais il risque aussi d’être sur une base très réduite. Il ne faut pas oublier que la droite Sarkozy-Buisson a mené à la défaite de Sarkozy en 2012.

Nicolas Lebourg Historien, chercheur au CNRS-université de Montpellier.

Politique
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