Une usine toxique au pied des écoles

Des riverains et des parents d’élèves de Montreuil, en Seine-Saint-Denis, se mobilisent pour demander la fermeture d’une usine de produits chimiques à proximité des écoles du quartier.

Vanina Delmas  • 4 septembre 2017
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Une usine toxique au pied des écoles
Photo : L'usine SNEM est un sous-traitant d'Airbus et Safran à Montreuil.
© V.D

Nous habitons dans le quartier depuis des années, mais je n’avais jamais fait attention à elle ! Je pensais même qu’elle était à l’abandon », s’exclament tour à tour les habitants d’un quartier résidentiel de Montreuil, à quelques pas de la place du Marché. Elle, c’est l’usine de la Société nouvelle d’eugénisation des métaux (Snem), décapant quotidiennement des pièces mécaniques d’avions dans des cuves d’acides pour les mastodontes de l’aéronautique Airbus et Safran.

Figée depuis des décennies à l’angle de la rue des Messiers et de celle des Guilands, elle semble s’être fondue dans le décor et son état extérieur laisse penser qu’elle est fermée : gouttières cassées, toit en brique affaissé, cheminées vétustes, crépi qui s’effrite… Même la végétation commence à reprendre ses droits sur le bâtiment. Pourtant, elle est bien en activité. L’odeur âcre qui s’en échappe pique les narines. Des liquides colorés ruisselant dans la rue quand il pleut interpellent quelques riverains, notamment Nicolas Barrot, le président de l’association de quartier des Buttes à Morel.

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En 2005, Nicolas s’installe juste en face de la Snem avec sa femme et ses deux enfants, et commence à s’intéresser à cette usine. Et pour cause : elle est située à une trentaine de mètres seulement des écoles Jules-Ferry et Anne-Frank, à proximité du futur collège intercommunal Montreuil-Bagnolet, en face d’un centre pour autistes et à l’orée du parc des Guilands, répertorié comme zone Natura 2000.

Précision de taille : l’entreprise est classée pour la protection de l’environnement (ICPE) du fait du caractère polluant des produits qu’elle utilise. « J’ai relancé plusieurs fois la mairie, la préfecture, le département pour avoir des réponses à mes questions. J’ai essayé d’obtenir la liste des produits utilisés mais je n’ai jamais eu de réponse, raconte-t-il. Alors en 2011, avec des voisins, nous avons fait analyser des échantillons de sol et des rejets atmosphériques par un laboratoire indépendant. » Les résultats confirment notamment la présence de tétrachloroéthylène, un solvant très utilisé dans les pressings, et classé cancérogène probable pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ).

Les pouvoirs publics restent de marbre face à cette expertise citoyenne. Et la majorité des habitants ne se posaient pas de questions. « Nous avons été mis au courant très récemment par le directeur de l’école, car il a demandé si cette usine était notée dans le plan particulier de mise en sûreté (PPMS). Il s’avère qu’elle n’y est pas donc s’il y a un accident, un incendie, personne ne sait comment réagir !, explique Gilda, qui vit ici depuis dix ans. Ma fille entre en CP cette année et sa classe est l’une des plus exposées, car les fenêtres donnent exclusivement sur la rue et quasiment en face des bouches d’évacuation. »

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Trois cas de leucémie en 100 mètres

Depuis cet été, celle qu’on surnomme « l’usine verte », à cause de la tôle la recouvrant et non pour ses engagements écologiques, ne passe plus inaperçue. Un article du _Monde a révélé qu’un enfant du quartier, scolarisé à l’école Jules-Ferry, souffrait d’une leucémie rare. Certes, le lien avec les rejets de l’usine est difficile à établir mais c’est déjà le troisième cas de leucémie dans le quartier. En 2010, un adulte vivant dans la même rue est décédé d’une leucémie et, il y a quinze ans, le petit garçon de Pascal, alors âgé de 4 ans, est aussi tombé malade. « Lors d’une sortie à la piscine, mon fils s’est senti fatigué, il avait mal dans les jambes… Les médecins de l’hôpital Robert-Debré ont diagnostiqué une leucémie du même type que le petit garçon malade aujourd’hui. Maintenant, il a 20 ans, il est guéri, mais il est toujours suivi médicalement », témoigne Pascal, assis sur son muret, sans cesser de fixer l’usine.

Personne n’a pu définir les causes de la leucémie, mais je trouve que ça fait beaucoup de cas dans un si petit périmètre. Sans compter le nombre de voisins que j’ai vus partir à cause de cancers fulgurants…

Celui que certains voisins surnomment « l’ange gardien du quartier » vit depuis 1966 dans la maison située dans l’angle opposé à la Snem. L’usine était déjà là et il a pu observer l’évolution des travaux. « Ils n’ont jamais rien remis aux normes. Toute cette tôle verte, c’est un cache-misère ! Dessous, il y a des trous dans les murs, les cheminées ne tiennent même plus. Dans la cour, ils ont un cerisier qui ne donne même plus de fruits. »

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Une mise en demeure pour novembre

L’émotion suscitée par la maladie de l’enfant ainsi que la médiatisation soudaine de l’affaire ont permis de mobiliser davantage de voisins, notamment des parents, et de faire bouger les pouvoirs publics. « Ils se sont rapidement mobilisés, reconnaît Antoine Peugeot, président de l’antenne locale de la FCPE. La ville a effectivement fait des études de la qualité de l’air dans les écoles du quartier pour rechercher la présence de benzène, pouvant être une cause de la leucémie. Ils étaient très fiers de nous annoncer qu’il n’y avait aucune trace de ce produit, que l’air était impeccable. » Mais personne n’est dupe : il faut rassurer les parents, et les enfants, en cette veille de rentrée des classes. « Ils n’ont réalisé aucune analyse des sols alors que nous savons que les solvants utilisés sont des produits lourds qui retombent, donc présents dans les poussières, en particulier le chrome 6. De plus, ils se sont exclusivement focalisés sur la leucémie et le benzène alors que notre souhait était qu’ils recherchent la présence d’autres produits toxiques pouvant être responsables d’autres maladies. Ils prennent le problème dans le mauvais sens ! », déplore Nicolas Barrot qui pointe du doigt l’effet cocktail et l’exposition de longue durée à ces différents produits.

En juillet dernier, les services de la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (DRIEE) ont mené une inspection du site, ont signalé certaines « non-conformités significatives » et fixé un ultimatum au 11 novembre : la Snem devra avoir réglé les problèmes liés aux conditions de stockage et d’élimination des déchets, ainsi qu’à un système de ventilation. Une avancée certaine que Nicolas Barrot regarde avec méfiance car, en douze ans de vigilance, ce n’est pas la première mise en demeure qu’on lui promet. Antoine Peugeot s’indigne :

Quand un robinet intoxique tout un quartier, il faut le fermer ! Nous demandons la fermeture immédiate de l’usine, sa décontamination, et le déménagement de ce site, car nous n’oublions pas les salariés qui dénoncent leurs conditions de travail depuis des années.

Les promesses d’études épidémiologiques de la part des pouvoirs publics ne sont pas un gage suffisant pour les citoyens engagés. Afin de mettre toutes les chances de leur côté et accélérer la mobilisation, ils ont alerté la sociologue spécialiste de santé publique Annie Thébaud-Mony, qui est prête à les aider sur ce dossier. « Si on a une telle situation environnementale, ce doit être une catastrophe pour les salariés. Je suis prête à les rencontrer car je pense que c’est en travaillant sur cette articulation entre l’intérieur et l’extérieur qu’on pourra faire avancer les choses et mettre les pouvoirs publics face à leurs responsabilités, affirme celle qui a lutté pendant des années pour le désamiantage de l’usine CCMP à Aulnay-sous-Bois. Ces traitements thermiques pour traiter des pièces en titane, aluminium ou acier existent depuis des années, donc ce type de pollution est connu, notamment celle liée au chrome 6 qui est un problème majeur. » L’omerta est désormais brisée localement, les riverains sont déterminés à mener cette bataille de longue haleine face à l’État et aux géants de l’aéronautique.

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Écologie
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